Le visionnage de ce film me paraît inévitable tant il fait parler de lui dans les médias. Une médiatisation méritée puisque pour un premier long-métrage de fiction, Les Misérables est une réussite totale. Ladj Ly, qui a d’abord fait ses preuves dans le documentaire, semble être la personne la mieux placée pour diriger ce film. Une trame a priori assez banale : un nouveau flic intègre une brigade, on lui fait visiter Montfermeil, une ville de la banlieue parisienne, où il découvre la violence du quotidien. L’élément déclencheur arrive, un petit élément dont on ne s’imagine pas l’avalanche qu’il va déclencher, et le film montre toute sa puissance. Puissance du scénario, de réalisation, de jeu et de démonstration.

Dans la cité de Seine-Saint-Denis, nous sommes loin du cliché « rap balancé à fond dans les caisses, vitres baissées, dealeurs de shit à tous les coins de rues, wesh wesh à toutes les sauces dans la bouche de chaque jeune ». Ladj Ly nous dépeint une cité réaliste (je suppose…) avec ses aspects positifs et négatifs. Pas de manichéisme, bien que le film oppose le trio de flics aux habitants — et notamment aux jeunes — de la cité, chacune des parties possède ses qualités et ses défauts. On ne sait pas qui détester, on ne sait pas à qui s’attacher. Sauf peut-être au nouveau flic justement, interprété par un Damien Bonnard très juste, qui semble l’ange tombé sur Terre pour sauver ce microcosme. Il n’en sera évidemment rien, mais on s’en doute dès le début. La première moitié du film nous amène dans un univers difficile, mais avec lequel le réalisateur arrive à nous faire rire. La scène dans le Kebab reste mémorable. La seconde moitié, la bavure enfin faite, ne permet plus de sourire un seul instant et nous maintient dans une angoisse haletante. Les priorités de ces flics pourris nous donnent envie de vomir, mais à côté, la haine et la rigidité des jeunes de la cité nous font froid dans le dos. Les acteurs des deux camps sont tous aussi justes les uns que les autres. Dans la haine ou dans l’humour, chaque acteur est d’un naturel qui nous éloigne des films français que certains déclarent souvent comme « mal joués ».

Ladj Ly nous fait comprendre avec dureté la réalité de la banlieue parisienne. Ce n’est pas que Montfermeil, c’est le problème français des populations laissées à l’abandon par une succession de gouvernements qui n’ont jamais su quoi en faire, qui n’ont jamais réussi à s’en préoccuper correctement, à les écouter et à les soutenir. Sans jamais en parler dans le film, on est obligé de se rendre compte par nous même que la France favorise toujours plus les riches que les pauvres. Et ce n’est pas récent, loin de là. Montfermeil étant la ville dans laquelle Victor Hugo a écrit ses propres Misérables, on est tristement obligé de constater que la pauvreté n’a pas évolué. Ce sont toujours les mêmes qui sont délaissés et se sentent ensuite forcés de se rebeller pour se faire entendre.

Difficile de s’attacher à la mise en scène tellement on est happé par l’histoire. Les plans au drone cependant, des plans diégétiques qui font partie intégrante de l’intrigue, apportent une fraîcheur qui étouffe, une vue d’ensemble de cette prison à ciel ouvert. Puis, il y a cette fin, fin qu’on penserait arriver plus tôt, au crépuscule de cette première journée, qui ne survient en fait qu’une quinzaine de minutes plus tard, dans une farandole de violence qui vous coupe la respiration et l’esprit. Le noir de fin du film qui précède le générique plonge la salle dans un silence hystérique. Que dire après ces images ? Comment avoir un avis ? Comment peut-on accepter que de telles choses arrivent dans notre propre pays ? L’ouverture du film se faisant sur la victoire des Bleus à l’été 2018 rend cette fin encore plus amère. Oui, ce sont bien des français, des patriotes, des amoureux de la France qui sont maltraités par leur propre patrie. Le respect de l’être humain est bien loin et une citation au combien actuelle de Victor Hugo vient boucler la boucle. « Les Misérables doit être un cri d’alarme adressé aux politiques » nous dit son réalisateur, quand on sait que Macron l’a simplement trouvé « bouleversant », on se demande si ce cri va être entendu…

PaulineTP
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le 17 janv. 2024

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