Les Moissons du Futur
7.8
Les Moissons du Futur

Documentaire TV de Marie-Monique Robin (2012)

L’hypothèse et la trame de ce documentaire est posée dès les premières minutes, extraits d’une émission de débat (Mots Croisés) où le ministre de l’agriculture de l’époque (Bruno Lemaire) assurait que le recours aux pesticides et fertilisant était indispensable pour que l’agriculture relèvre le défis alimentaire d’une planète en pleine explosion démographique, marchant droit vers les 9 milliards d’habitants en 2050. La réalisatrice des « Moissons du futur », Marie Monique Robin, a cherché à vérifier cette assertion et à découvrir si des modèles d’agriculture alternatifs, réunis sous la notion d’agro-écologie, s’avèrent suffisamment solides pour concilier cet enjeu alimentaire avec la préservation des ressources naturelles, notamment la qualité des sols, fortement dégradé par 40 ans d’agricultures intensives, de monocultures, et d’épandages d’intrants. Le documentaire entame alors un tour du monde dont les diverses escales sont le Mexique, les USA, le Malawi, le Kenya, l’Allemagne, le Sénégal ou encore le Japon.

Ainsi, en Amérique du nord, deux pratiques concurrentes sont comparées. Au Mexique, la Milpa, alias le Haricot Maïs, association de trois cultures complémentaire constituant une symbiose : Le maïs sert de tuteur sur lequel peut grimper le haricot, le haricot capte et fixe l’azote qui permet au maïs de s’épanouir, et une troisième culture, la citrouille, apporte un couvert végétal via son feuillage garni, afin de conserver l’humidité du sol. Le paysan fauche lui-même les mauvaises herbes qui poussent dans le champ et s’en sert de fourrage pour le bétail, et les effluents ré-alimentent la parcelle en élément nutritif… Système fermé, autonome, écologique, durable… et productif.

De l’autre côté de la frontière, la monoculture de Maïs OGM aux USA, totalement dépendante de l’industrie (Mosanto and Co) pour sa pérennité, la pratique étant dépendante en fertilisants, et même en semences, ces dernière étant protégées par brevet et non replantables !!! L’agriculteur américain s’avère conscient de la fragilité de la monoculture aux attaques des maladies ou des ravageurs, mais continue de l’appliquer (le documentaire ne dirait pas pourquoi).

Dans cette confrontation du modèle Américain avec le modèle Mexicain, et c’est le petit paysan Mexicain qui semble s’en tirer le mieux, avec son champ bien vert, quand celui de l’américain est jaunis et grillé. La démonstration est agrémentée d’un cours sur les conséquences des accords de libre échange en matière de productions agricoles : le systèmes de subventions à la production, en aidant aveuglément les agriculteurs à accéder à une énergie et à des intrants à bas couts, ne les incite pas à faire d’efforts et à améliorer leurs pratiques ou à connaitre avec transparence leurs coûts et besoins réels, et donc à déterminer avec précision et pertinence la véritable valeur de leur production, déconnectés du poids des externalités négatives telles que les pollutions de l’eau, la perte de biodiversité, l’apparition de maladies professionnelles chez les agriculteurs ou même parmi la population.

Pourtant, selon diverses études américaine (David Pimentel) et Européennes (Catherine Ganzleben), les couts sanitaires des pesticides sont plus lourds que leurs gains de productivité agricole, donc selon des, abandonner l’utilisation de pesticides représenterait un progrès et un gain pour la société.

Le propos tenu par le documentaire est que, sans prendre en compte ces externalités négatives de l’agriculture conventionnelles sur la santé et l’environnement, on sous-estime immanquablement le prix réel des productions agricoles ainsi obtenues. Ceux-ci, s’ils sont actuellement bon marchés, s’avèrent ainsi artificiellement bas et ne sont pas viables, alors que la terre s’épuise et que les rendements sont maintenus sous perfusions de produits pétrochimiques de plus en plus couteux. L’agriculture conventionnelle coute en réalité plus cher, et c’est ce nouveau prix revu à la hausse qu’il faut comparer avec ceux de l’agriculture durable. Alors, les prix du Bio, qui prennent en compte l’entretien de la ressource environnementale, mais également le bien-être et la survie du monde paysan, n’apparaitraient soudainement pas plus lourds que ceux de l’agriculture conventionnelle, au contraire.

Le documentaire évoque aussi les distorsions des marchés agricoles nationaux provoqués par l’établissement d’accords de libre-échange internationaux, en l’occurrence l’ALENA, qui a favorisé l’agriculture subventionnée US (aussi fortement subventionnée que l’agriculture européenne), au détriment de l’agriculture plus traditionnelle et vivrière mexicaine, autosuffisante lors de la signature de l’accord en 1994, mais vidée depuis de sa substance car incapable de soutenir la concurrence des subventions massives US… l’agriculture mexicaine s’effondre, les paysans renoncent à leurs vocations et… émigrent clandestinement aux USA.

Plus tard, les dérives de cette équation sont de nouveau remises sur le tapis en prennant l’exemple du Sénégal: les accords de libre-échange internationaux ont spécialisé le pays (et de nombreux autres) dans les cultures exportatrices (arachides entre autres), et lui ont imposé l’importation de ses propres besoins alimentaires, détruisant le tissus d’agriculture vivrière familial pour lui substituer une agriculture industrielle ne correspondant pas aux besoins des populations. Depuis 5 ans, le pays a repris sa souveraineté alimentaire en main en établissant un boycott de l’importation de certaines productions étrangères, ici l’oignon, pilier de l’alimentation locale et donc de l’agriculture de subsistance, durant la saison de la production nationale, enregistrant des premiers résultats encourageants, même si les débouchés et infrastructures de stockages manquent pour soutenir les paysans sénégalais toute l’année et rétablir une autonomie alimentaire du pays.

De nombreux exemples de ce retour à l’agronomie et aux solutions écologiques, et économiques, proviennent des pays en développement. Le Malawi, touché par la famine à cause de la sécheresse, tente ainsi de surmonter sa crise par le biais de l’agroforesterie. Les pratiques adoptées utilisent les feuillages d’arbres fertilisant comme engrais verts réincorporés aux récoltes, pour des rendements multipliés par 2 ou 3 par rapport aux pratiques antérieures. L’agroforesterie serait également un rempart à l’extension des zones arides attendue du réchauffement climatique, car les arbres conservent l’humidité, fertilisent les sols, et captent le CO² facteur d’effet de serre pour leur croissance.

Au Kenya, la réalisatrice se penche sur la technique moins connue mais encore plus ingénieuse du Push Pull, qui consiste à protéger une culture, ici du maïs, en l’associant à une plante non récoltée mais produisant un insecticide naturel qui repousse les ravageurs, entre en concurrence avec les plantes adventices parasites et assure un couvert végétal préservant le sol du champ de l’érosion et de la sécheresse. A l’opposé, en bordure de champ, une autre herbe est plantée, celle-ci à la convenance des insectes, afin d’attirer à elle les ravageurs présents sur la parcelle, et donc préserver la véritable culture de leur activité. Là encore, les rendements sont démultipliés par rapport aux anciennes pratiques, mais ces dernières devaient être assez misérables vu les nouveaux rapports de productions (environ x10 !).

Cependant, les pratiques d’agro écologie serait utiles non seulement aux pays en développement, mais également au Nord, pour un dépassement de l’agriculture conventionnelle. La révolution Verte axée sur le productivisme alimentaire est jugée obsolète par les nombreux intervenants rencontrés, paysans du tiers monde, agriculteurs européens ou japonais, chercheurs, rapporteurs à l’UE ou à l’ONU, et dans le contexte d’une nouvelle révolution agricole (la révolution doublement verte ?), la société attends désormais de l’agriculture une polyvalence, la fourniture de services plus variés et moins palpables ou quantifiables, tels que l’entretien des paysages indispensable à l’économie du tourisme, au bienêtre des populations, et à la gestion des problèmes écologiques du XXIème siècle.

Au niveau mondial, les investissements dans l’agriculture recèleraient un plus grand potentiel de développement que les investissements industriels, et l’agriculture de demain reposerait sur le modèle de la petite exploitation familiale, comparativement plus productive que l’immense exploitation.

Finalement, le documentaire présente également des aventures d’agriculture biologiques menées en pays développées, via le suivi d’une exploitation Bio de 35 Ha en Allemagne. L’exploitant avoue avoir usé sa terre en adoptant l’agriculture conventionnelle à partir de 1955 et des balbutiements de la PAC et de la modernisation de l’agriculture européenne en reconstruction, et vu ses récoltes s’effondrer après d’excellentes premières années, malgré le renfort de pesticides épandus par hélicoptère (soulignant qu’ils se rendaient compte de la folie des nouvelles pratiques en voyant l’appareil survoler les champs !). Il a ainsi abandonné l’agriculture chimique à la fin des années 60 pour s’essayer au Bio. Durant les années 80, il a appris l’existence et la maitrise de la culture sans labour. Cela fait ainsi 30 ans qu’il gère son exploitation en Techniques Culturales Simplifiées, remuant le moins possible le sol pour éviter de briser les équilibres produits par la vie et la nature (vers de terres, racines, champignons, bactéries…). Il parvient ainsi à atteindre des rendements très similaires à ceux des cultures conventionnelles, sans épandre de dérivés de pétrole. Le bio consomme ainsi 40% d’énergie en moins, et produit 45% de GES en moins que l’agriculture conventionnelle, selon les résultats des expérimentations en parcelles menées.

Enfin, le documentaire part au Japon, pays peu connu pour sa puissance agricole, frappé par une très forte densité de population, une urbanisation importante et la rareté des terres cultivanbles, devenu depuis 1945 l’un des plus grand importateurs de denrées agricoles au monde, uniquement autosuffisant quant à sa consommation de riz. Le protectionnisme Japonais taxant le riz étranger a pourtant permis le maintien de nombreuses rizières sur l’archipel et le maintien d’une filière forte. Le reportage se déroule dans une petite ferme qui table sur la variété de ses productions, à savoir une soixantaine de variétés de légumes dans l’année, pour assurer un équilibre écologique et la bonne santé de la parcelle, ainsi que sur un dosage précis des capacités d’élevage de l’exploitation, limitée à 3 vaches pour éviter les travers de l’intensification, le surplus de fumier et l’affaiblissement des têtes de bétails moins bien traitées. L’exploitation est ainsi autosuffisante. Il arrive même à assurer sa propre production de bio-carburant faisant tourner le tracteur, en recyclant les huiles produites par l’exploitation ! Enfin, la production est écoulée directement auprès d’associations de consommateurs, un peu sur le principe d’une AMAP. D’ailleurs, les Tekkei sont les modèles et précurseurs de nos AMAP. Le fermier japonais fait même labourer sa rizière après récolte par des canards, qui nettoient le fond des mauvaises herbes et des insectes, tout en s’engraissant.

Le documentaire, clairement partisan, estime possible de nourrir 9 milliards d’individus en tout bio, à compter de pratiquer une agriculture de pointe, et de réussir à mener une nouvelle révolution agricole, plus respectueuse de l’environnement, surpassant le paradigme de ce qui fut appeler « modernité » après la guerre, et tend à devenir un modèle obsolète. Le propos et beau et enthousiasmant, il apparait convaincant et voici ainsi encore un documentaire qui tend à nous faire penser que la mondialisation et la financiarisation son des fléaux de l’humanité. Cependant, tout en pointant du doigt l’influence néfaste de l’industrie des engrais et des pesticides, ainsi que le libre-échange à tout crin, même en matière d’alimentation et de préservation de l’environnement, Marie Monique Robin ne nous précise pas que les pratiques bio demeurent encore aujourd’hui moins de 10% de l’agriculture européenne, et pourquoi, alors que les premiers agriculteurs se sont converti il y a déjà plus de trente an à ce retour à la nature et à l’agronomie, le conventionnel si décrié durant 1h30 demeure aussi puissant et ancré dans les champs et dans les assiettes. Dommage pour ce manque de recul et d’explication du blocage de rouages qui semble pencher avec autant d’évidence en faveur de l’agro-écologie, il n’en demeure pas moins que « les Moissons du futur » s’avère un documentaire riche, argumenté, explicatif, global et rassurant quant à l’élaboration d’un nouveau paradigme agro-environnemental.
Dauntless
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le 12 févr. 2013

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