Comme dans la nouvelle de Dostoïevski qui est à l’origine de la présente adaptation, Nuits Blanches est un film de fantômes dans lequel les solitudes errent dans l’espoir de rencontrer l’âme-sœur et de remédier, pour l’éternité, à la précarité affective de leur état. Or, de la même manière que l’écrivain russe pensait sa romance impossible comme une relation triangulaire à la tête de laquelle siégeait l’absent(e), miroir tendu à celui ou celle qui croit y voir l’image de l’amour mais qui n’est, en réalité, que la projection de son besoin d’aimer vers un corps réceptacle de ses fantasmes, le film met en scène la constante tension vers un être absent, et transforme la déambulation amoureuse en accompagnement discursif où se racontent les fictions que les amants gardent au plus profond d’eux, tels des bouées de souvenirs auxquelles s’agripper pour ne pas sombrer dans la dépression et l’oubli.


« Nous ne nous parlons pas, mais c’est comme si nous nous étions tout dit » : cette déclaration, prononcée par la belle Natalia, résume à merveille le paradoxe qui rassemble et dissocie à la fois notre couple central : seule la mort de tout espoir d’éternité conjugale – le délitement est inévitable, plane sur les protagonistes principaux à la manière d’une ombre maléfique – permet à la communauté des amants de se former, aux solitudes de s’apprivoiser et de se poser l’une à côté de l’autre pour bavarder, s’aimer et se quitter, inévitablement. Chaque personnage trouve dans le film un double antithétique : la femme inaccessible cède sa place, le temps d’un égarement fiévreux, à une fille de joie prête à tout pour passer la nuit avec son client ; le beau et ténébreux locataire, parti arranger de bien mystérieuses affaires depuis une année, se reflète en la personne de Mario. Toutefois, ces tentations échouent à se substituer aux véritables objets du désir et du manque, si bien que les quatre nuits du rêveur aboutissent sur l’apprentissage d’un au-revoir (d’un adieu ?) aussi douloureux que sublime.


Un noir et blanc somptueux, une direction d’acteurs magistrale et une réalisation mêlant onirisme noir et réalisme poétique : Luchino Visconti donne vie à un chef-d’œuvre à la hauteur de l’immense nouvelle adaptée. « Mon Dieu ! tout un instant de bonheur ! n’est-ce pas assez pour toute une vie ?

Fêtons_le_cinéma
10

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le 21 janv. 2020

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