Après la claque "Amer" l'année dernière, c'est au tour du film "Les Nuits rouges du bourreau de Jade" de rendre hommage aux gialli et à leur esthétisme baroque.

Signant ici leur premier long métrage, Laurent Courtiaud et Julien Carbon sont loin d'être inconnus puisqu'après une carrière de journalisme ciné en France, ils scénarisent à Hong Kong depuis quelques années pour des réalisateurs comme Johnny To ou Tsui-Hark. "Les Nuits rouges du bourreau de Jade" est une course sanglante, construite autour d'une quête pour un poison ancestral que convoitent une riche hongkongaise perverse, une française cupide et un mafieux pas très net. La légende veut que ce poison, propriété d'un tortionnaire sous la dynastie Qin, décuple les sens tout en paralysant ses victimes, avant de les conduire à la mort.

Évoquons tout de suite le défaut majeur du film : le choix de Frédérique Bel, aka ex-madame Minute Blonde sur Canal +, dans un des rôles principaux. Malgré quelques fulgurances, elle a un peu l'air de se demander ce qu'elle fout là, et à vrai dire, nous aussi. On ne la sent pas spécialement investie par son rôle de frenchy perdue dans cette jungle urbaine, et encore moins par le côté censément calculateur de son personnage.

Heureusement, la sublime Carrie Ng focalise sur elle toute l'attention, tant par sa prestance hallucinante que par sa performance d'une rare sensualité. Sadique jusqu'au bout des griffes, toujours vêtue de rouge et noir (oui, comme Jeanne Mas), elle incarne nos fantasmes les plus inavouables : ceux portés par les pulsions refoulées de sexe et de mort, à l'instar de l'élixir toxique qu'elle vénère de manière maladive. Néanmoins, cette mante religieuse est bien plus complexe que ce que les apparences laissent entrevoir.

Non seulement flippante par son intelligence cruelle, elle l'est plus encore lorsqu'elle laisse exploser sa violence bestiale, révélant une rage aussi inattendue que jusqu'au-boutiste. Jouant avec les clichés de la féminité, Courtiaud et Carbon mettront de nouveau à mal cette autre facette sombre alors que Carrie – également son prénom dans le film – se révèlera sensible et fragile.

Ces personnages torturés, dans tous les sens du terme, sont cependant loin d'être limités à de simples représentations symboliques. Sublimés par la mise en scène, ils prennent corps dans l'immensité honkongaise, mégalopole tout autant ouverte que repliée sur ses traditions, immensité rendue de façon extrêmement précise par les deux réalisateurs. Ceux-ci accordent en effet une attention toute particulière aux décors, opposant à la froideur géométrique de la ville des séquences d'intérieur quasi toutes tournées dans des lieux confinés, leur conférant ainsi une réelle dimension angoissante. Car ces successions labyrinthiques de pièces dérobées revêtent un caractère à la fois mystérieux et menaçant, sublimé par les effets de miroirs ou de cadre dans le cadre.

Sans cesse baladés d'un endroit à l'autre, cette déambulation hypnotisante nous fait rapidement perdre nos repères, sensation déstabilisante qui rendra les scènes de torture d'autant plus viscérales. Esthétisantes au possible voire théâtrales, ces scènes n'en restent pas moins d'une efficacité implacable, tant dans ce qui est sous-entendu que dans ce qui est montré. C'est également un autre point fort du film, Courtiaud et Carbon ne cherchant jamais à nous épargner visuellement.

Alternant entre une figuration fantasmée de la violence et un aspect bien plus réaliste, "Les Nuits rouges du bourreau de Jade" s'approprie brillamment les thèmes chers aux gialli : un univers poisseux, axé sur le fétichisme, très connoté sexuellement, associé à la cinégénie du sang ou des armes blanches. La séquence finale clôt l'hommage, transformant la maison en un personnage à part entière, tout aussi insaisissable que dangereux, qui emportera avec lui le secret du bourreau de Jade.

Ajoutons à cela la musique impeccable de Seppuku Paradigm, à qui l'on doit déjà les B.O de "Martyrs" et de "Eden Log", et l'on obtient un premier métrage non exempt de défauts, mais fascinant, étrange, ayant en prime le mérite de proposer une relecture originale du genre. C'est une performance suffisamment rare pour être saluée.
Miho
7
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le 4 avr. 2011

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Miho

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