Je te montrerai un gros oiseau et tu me montreras ton joli bouton de rose.
C’est ce que dit paraît-il monsieur frelon à sa fiancée. C’est aussi ce que disait Alfred Hitchcock à sa jeune et ravissante interprète Tippi Hedren. Il voulait au départ filmer une love story qui aurait bien fini malgré les obstacles. Mais par la faute de Tippi, trop blonde pour mériter une simple bluette, sir Alfred fut forcé de changer de registre et de quitter le romantisme des bords de mer pour l’épouvante.


Ça tombait bien : la Hammer était alors dans son âge d’or. Mais sir Alfred n’était pas homme à filmer des banales histoires de loups-garous. Il se fixa comme challenge de susciter une peur primaire au moyen d’inoffensifs piafs. Hitchcock se moquait de la vraisemblance. Il laissait ça aux critiques. Par définition les critiques n’ont pas d’imagination, il suffit de regarder autour de soi. Pourquoi alors choisir des oiseaux ? Pour le seul plaisir d’embarquer le spectateur dans l’irrationnel, mon colonel.


Les Oiseaux se démarque des films d’épouvante habituels par le perfectionnisme de sa technique et son étude originale de la psychologie féminine. A la première vision c’est bien l’épouvante qui prime, savamment provoquée par le metteur en scène. L’enjeu n’est pas de montrer ce que le spectateur voit réellement, mais ce qu'il croit voir. Hitchcock utilise ainsi l’espace entre Mélanie et la caméra pour montrer que Mélanie recule devant un danger qui n’existe pas. Le silence est total. Puis la caméra est placée en hauteur pour montrer que l’angoisse monte en elle, avec celle du spectateur. Ce n’est qu’ensuite qu’a lieu l’attaque massive des volatiles. (cf les entretiens Hitchcock – Truffaut).


Hitchcock alterne la manipulation du spectateur avec des private joke. Dans la scène à la station-service il s’amuse à filmer l’attaque des oiseaux comme une attaque aérienne. La scène a l’air filmée d’un avion et il y a un dépôt de carburant (la station-service) en flamme comme après un bombardement.


Les visions répétées du film permettent de mieux s’attarder sur les trois personnages féminins. Mélanie Daniels (le mannequin Tippi Hedren) est une femme capricieuse, féministe avant l’heure « peu disposée à laisser aux hommes le contrôle de la situation ». Elle trouve en face d’elle deux rivales : l'institutrice Annie Hayworth (Suzanne Pleshette), l’ex-petite amie de Mitch Brenner ( Robert Taylor), toujours amoureuse en dépit des apparences, et surtout Lydia Brenner (Jessica Tandy ), la mère de Mitch qui est déjà parvenue à empêcher le mariage de son fils avec Annie, et qui voudrait réitérer avec Mélanie. Cette femme esseulée après la perte de son mari et redoutant sans l’avouer la solitude figure en bonne place dans la lignée des mères castratrices d’Hitchcock.


Certains tenants de la psychanalyse ont vu dans les attaques des oiseaux la matérialisation de la haine inconsciente que voue la mère de Mitch à Mélanie. Les oiseaux, calmes d’abord, deviennent de plus en plus agressifs. Quand la mère de Mitch revient à de meilleurs sentiments en éprouvant de la pitié pour une Mélanie blessée, les attaques des oiseaux cessent comme par miracle. D’autres psychanalystes (leurs interprétations sont innombrables) ont disserté sur la symbolique des oiseaux en cage du début, image de la sexualité refoulée et du Surmoi des interdits parentaux qui s’opposerait aux forces incontrôlées du Ça, à l’envol désordonné des oiseaux symbolisant la libération de la sexualité. Celle-ci serait vécue au début comme une menace par Mitch Brenner, dont le complexe d’œdipe ne serait pas entièrement résolu et qui reste au début sous l’emprise de sa mère Lydia.


Les Oiseaux est aussi l’occasion de juger du traitement controversé infligé par Hitchcock à certaines de ses actrices. La scène de l’attaque des oiseaux au grenier aurait été pour Tippi Hedren une scène traumatisante. Dans le but de lui faire jouer la terreur avec le plus de réalisme possible les oiseaux auraient été jetés sur elle sans l’avertir, certains étant même attachés à elle avec des fils. Son calvaire dura cinq jours, et l’actrice devenue ornithophobe dut ensuite se reposer quelques jours. Une autre qu’elle ne se serait sans doute pas laissé faire mais Tippi Hedren tournait là son premier film et ne voulait pas nuire à sa carrière. (Pour plus de ragots voir le téléfilm The Girl de Julian Jarrold).


Hitchcock détestait paraît-il tourner avec les enfants selon Mélanie Griffith, la fille de Tippi Hedren. Elle affirmait qu’Hitchcock lui aurait envoyé pour ses six ans une boîte en forme de cercueil avec à l’intérieur une petite poupée représentant sa mère telle qu’elle était dans les Oiseaux. D’après elle, Hitchcock voulait briser sa mère. Mais il est clair que rien ne prouve la réalité des faits, certaines actrices étant par leur métier très proches de la mythomanie.


Les Oiseaux est donc un film où la réussite des effets spéciaux et des trucages procure une impression de réalisme saisissant alors même que l’on sait tous que les oiseaux ne sont pas des meurtriers furieux. Jadis un magicien jouait de la flûte pour entraîner des rats, Hitchcock fait mieux : il réussit à dresser des oiseaux pour l’attaque à tel point que je crains que ce film ait pu influencer certaines personnes trop crédules. Même si en Australie le cassican fluteur mâle, appelé aussi la pie australienne, attaque à grands coups de becs les cyclistes, voyant un danger potentiel dans tout humain passant à proximité de son nid, surtout quand l’humain circule à vélo…


ma note 10 (première heure du film non notée)

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le 5 déc. 2019

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Zolo31

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