L'histoire des Oiseaux de passage est plutôt celle des "Parajos de verano" (titre original): des "oiseaux d'été", qui comme Icare, se sont brûlés les ailes trop attirés par le soleil et son éclat.


Tout semble idyllique, presque trop, chez le peuple Wayuu, qui vit entre mer et terre, bercé par les éléments naturels et spirituels et par les traditions ancestrales. Tout est très esthétique, vibrant, éclatant, telle cette jeune femme au visage magnifique, sortant de son retrait initiatique pour présenter au monde son visage somptueux ornementé du foulard rouge sang, en guise de lourd présage.


Et pourtant, ces Indiens Wayuu sont loin d'être aux confins du monde, et malgré le poids des traditions -qui sera ironiquement le point de départ de leur perte (la recherche d'une dot)- l'appel des ressources et de la modernité est trop fort.
Alors c'est le contexte qui les rattrape, la Colombie, terre fertile pour toutes les cultures même les plus rentables comme la marijuana et la cocaïne, poussées par la demande des États-Unis. Et l'engrenage sans retour s'enclenche, celui qui attire inévitablement et broie tout sur son passage : l'amitié, l'honneur, la communauté, la famille.


On peut d'abord penser que le réalisateur porte un jugement moralisateur, en montrant une vision idylique de ce peuple -presque à la manière du "bon sauvage"- qui s'enfonce peu à peu dans l'enfer : l'appât du gain balayera tout, même nos plus pures traditions. Les Wayuu vivent encore d'aujourd'hui dans la Guajira en Colombie: très pauvres, souvent discriminés, touchés de plein fouet par le conflit armé, ils ont pourtant résisté comme ils ont pu à tous ces fléaux. La lecture est donc peut-être plutôt: "regardez ce que la drogue a fait de nous et notre pays, elle n'a pas épargné même ceux dont les valeurs étaient grandes et pour qui les pierres sacrées valaient plus qu'une villa de luxe". Les oiseaux d'été se sont brûlés les ailes en confondant le soleil avec un feu ardent qui dévastera tout un pays et qui encore s'acharne violemment contre ceux qui se font happer, souvent bien malgré eux.

-MâriönCihüatl-
8

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le 10 mai 2019

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