nov 2012:

Dernier film que j'ai pu voir au Cinémed 2012 dédié à Roberto Rossellini. Ce fut très difficile. D'abord physiquement avec une bande son déplorable, chuintante et hurlante de bout en bout. Je voulais me colleter à la spiritualité de Rossellini, je fus servi. Alors qu'il était à une époque de sa vie compliquée, cruciale et notamment très fragilisée dans sa manière de vivre sa foi (il venait de rencontrer Ingrid Bergman et n'était pas encore séparé de son épouse), Rossellini s'attèle à une œuvre d'accès malaisé à qui n'est pas ouvert à la réflexion spirituelle. C'est dire qu'un hédoniste, un agnostique, un athée, un sceptique ou un rationaliste aura beaucoup de mal à voir ce film sans souffrir. Je me range à peu près dans toutes ces catégories et me suis royalement fait chier. Excuse my french, mais n'ayons pas peur des mots et ajoutons un autre "ique" : il faut être pragmatique!

Afin de bien faire comprendre la pénibilité du visionnage pour l'humanité listée plus haut, je vais prendre une de ces "fioretti", une séquence qui me semble tout dire du film, illustration parfaite. On y voit St François avec un de ses disciples embourbés dans un chemin enneigé et boueux. Isolés sous la neige qui n'en finit pas de tomber, ils discutent à la recherche de quelque abri, sur la nature de la félicité, du bonheur parfait. St François dit que convertir tous les infidèles ne serait pas le bonheur parfait, que connaître tous les secrets de la nature ne serait pas le bonheur parfait, etc. Ils en sont là de leur débat, quand ils aperçoivent une grande masure au milieu d'un champ. Ils y courent pour prêcher et accessoirement trouver un abri. Ils tambourinent à la porte mais une voix les envoie balader. Mais les deux têtus continuent à demander l'occasion de parler de Jésus en vociférant. Lassé de ce harcèlement, le propriétaire sort et leur flanque une volée de bois vert. Et là, le nez dans la boue, St François de s'écrier tout heureux, que c'est là, maintenant, qu'il voit la définition même du bonheur parfait, que c'est dans cette bastonnade qu'il trouve le bonheur d'avoir fait les louanges du seigneur en dépit de la douleur et de l'humiliation. Voilà tout est dit de cette philosophie hystérique. Et je comprends alors bien mieux pourquoi Rossellini introduit son film sur une citation de Paul de Tarse, le personnage historique qui a façonné le dolorisme chrétien et placer la religion sous le sceau de la violence et d'un certain masochisme (lui même avait de l'expérience en temps qu'ex-bourreau romain).

En effet, tout le film est constitué de ces petites scènes de la vie quotidienne de la communauté qu'a mis en place St François d'Assise. Ces "fioretti" illustrent bien le fonctionnement de ces moines et le développement de la pensée franciscaine des origines (dès la mort de St François, cela part en sucette, avec des schismes au sein même de l'Ordre), pure et continuelle fustigation du corps humain à des fins spirituelles. C'est tout le sens de l'option St Paul.

L'aspect didactique du récit proposé par Rossellini me parait nettement assumé, il perdure en effet tout le long du film. On est presque dans un film à sketchs ; dans sa structure du moins, cela y ressemble. On édifie les masses sur la pureté de St François, élevée à une essence de vie mystique censée permettre aux êtres humains de souffrir avec le sourire, une discipline de vie, avec l'au-delà fréquemment en ligne de mire en quelque sorte, mais ancrée dans le travail, la terre, le corps en souffrance et le "siècle" comme on disait. Petit abécédaire du monde franciscain et son "mode de croire". Aussi est-il nécessaire d'être, sinon croyant, au moins disposé à la réflexion spirituelle.

Ce qui parait pour le moins incongru, c'est le caractère comique que le film présente à maintes reprises. Comme je viens de voir les deux comédies de Rossellini ("La machine à tuer les méchants" et "Où est la liberté?"), il m'est facile de noter de suite en regardant ce film la forme un peu naïve que Rossellini lui fait prendre, en filmant et montant ses scènes avec quelques maladresses. Comme s'il fallait absolument aérer par l'adjonction de cet humour enfantin un propos trop austère et significativement dur à avaler. Ainsi voit-on débouler Aldo Fabrizi, un comédien que j'aime beaucoup par ailleurs, mais qui ici joue, de façon lassante à force de grotesques grimaces et simagrées, un barbare que l'attitude pieuse d'un franciscain va perturber au plus haut point. On retrouve souvent un moine un peu imbécile, un idiot qui met du bois dans la soupe, ou bien un autre qui n'en finit pas de se retrouver à poil à vouloir donner sa tunique aux plus pauvres. Humour un peu systématique et plutôt puéril qui m'a paru un peu trop insistant dans son air innocent, en tout cas mal dosé, dirais-je. Il est vrai que les intentions importantes de Rossellini sont ailleurs et surtout dans cette proposition que représente St François, sorte d'horizon comportemental, phare mystique, exemplarité d'humilité et synthèse d'un christianisme originel, plus proche du christ que les tenants officiels de l’Église.

Mais bon... c'est pas came. Définitivement pas. A réserver exclusivement aux bonnes âmes.
Alligator
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le 20 avr. 2013

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Alligator

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