Une amie, adepte de la pratique de rollers en ville, a fait une chute suivie d'un choc violent de sa tête contre le rebord du trottoir. Elle avait sacrifié le port du casque à la coquetterie et un traumatisme crânien, heureusement pas trop grave, en fut la conséquence. Elle en a conservé une séquelle très gênante : la perte de l'odorat. Elle ne l'a plus jamais retrouvé. Il en résulte pour elle la privation des plaisirs de la table, tant odorat et goût ont partie liée. Elle se nourrit, mais ne fait aucune différence entre un bon vin et une vulgaire piquette. Tout aussi gênant, sinon davantage encore, elle ne sent ni l'odeur du brûlé, ni aucune autre émanation qui l'alerterait d'un danger.


Anne Walberg, interprétée avec talent par Emmanuelle Devos, est, ce qu'on appelle, « un nez » Elle créait des fragrances pour des grands parfumeurs jusqu'à ce qu'elle perde cette extraordinaire capacité à mémoriser des centaines d'essences et à les combiner entre elles pour donner naissance à une fragrance unique. Anne Walberg n'a pas perdu son talent suite à un accident mais simplement parce son nez avait besoin de prendre du repos. Quand elle renoue avec son art, ceux qui en ont bénéficié se sont détournés d'elle. Désormais, elle met son organe olfactif et son savoir-faire au service d'autres utilisateurs tout en espérant revenir à sa gloire première.


Il est des sujets qui pour un cinéaste sont passionnants à traiter mais cela ne garantit pas l'intérêt du public. Nos sens font certainement partie de ces sujets, mais comment faire pour ne pas tomber dans un documentaire de plus ou une conférence sur l'anatomie et le fonctionnement d'un organe ? Grégory Magne a choisi de traiter le sujet en l'habillant d'un scénario avec des personnages de fiction. Sans toutefois négliger son sujet premier.


Ainsi, il fait de la rencontre de Anne Walberg/ Emmanuelle Devos et de Guillaume/ Grégory Montel, son chauffeur, une virée sur les routes et dans la vie parsemée de situations parfois amusantes et de rencontres diverses. Rencontre improbable entre une femme aigrie, cassante, parfois carrément désagréable et un homme qui essaie de trouver une stabilité matérielle pour obtenir la garde partagée de sa fille tout en étant attentif à sa cliente. Rencontre surprenante d'une femme concentrée sur elle-même et peu attentive à autrui et un homme qui a d'autres préoccupations que de servir de souffre-douleur.


Les deux sujets du film cohabitent sans se nuire l'un à l'autre. Les relations entre les deux protagonistes sonnent juste sans oublier de garder le cap sur l'odorat et les odeurs. Je me suis surpris un instant à faire le parallèle avec Le chant du loup d' Antonin Baudry, film qui traitait de l'ouïe.


L'oreille d'or du sous-marinier, qui mémorise des dizaines de signatures acoustiques et distingue le chant de la baleine du bruit de l'hélice d'un cargo, qui identifie les caractéristiques et même le nom d'un submersible ou d'un navire ennemi et le nez de celui qui règne sur les effluves ne sont pas si différents. Le monde acoustique et le monde olfactif sont des univers dans lesquels il y a une grammaire, une syntaxe et une sémantique.


Un homme travaillant dans un laboratoire de recherche en acoustique me racontait un jour comment une marque de véhicules automobiles l'avait sollicité pour mettre au point un bruit de portière qui se ferme en rendant le même son cossu qu'une portière de voiture très haut de gamme. De la même manière, une marque de sèche-cheveux électriques lui avait demandé d'inventer un appareil au moteur totalement silencieux. Le fabricant avait ensuite renoncé à sa mise définitive sur le marché car la clientèle prétendait que le sèche-cheveux silencieux était moins efficace que celui qui faisait un bruit pourtant peu agréable. Trouble des perceptions encore quand ce fabricant de sirop à la menthe renonce à lancer sur le marché un sirop sans colorant vert parce que la clientèle prétend ne pas retrouver le goût de la célèbre plante parfumée.


Anne Walberg rencontre un groupe d'industriels qui lui demandent de mettre au point un parfum à diffuser autour de leur usine pour masquer les odeurs nauséabondes que ses cheminées répandent dans le voisinage. Commande inhabituelle qui dépasse de loin les demandes d'ambiance olfactive suggérant la présence de viennoiseries particulièrement appétissantes que lui avait commandée un client précédant. A l'impossible nul n'est tenu et Anne Walberg se refuse à faire croire aux habitants d'un lotissement proche de l'usine que l'odeur de guimauve apparaissant subitement dans l'air serait naturelle.


Guillaume, piqué au jeu du monde des odeurs, vole à son secours en suggérant tout simplement d'avoir recours à des diffuseurs de senteurs d'herbes fraîchement coupées. Il se souvient simplement des odeurs de son enfance à la campagne et des effluves que laissait derrière elle la faucheuse. Je me suis senti Guillaume quand m'est revenue en mémoire l'odeur de la terre humide que coupe et retourne le soc d'une charrue. J'ai même retrouvé immédiatement dans ma mémoire le bruit très particulier qu'on entend quand ce même soc coupe les racines souterraines de quelques végétaux enfouis. M'est également revenu le souvenir de m'être arrêté un jour au bord d'une route pour m'approcher d'un agriculteur en train de labourer et retrouver ainsi une ambiance olfactive et acoustique de mon enfance. Je me souviens de ma déception quand l'odeur du gas-oil brûlé et le bruit du moteur du tracteur m'ont privé de ce plaisir.


Tout à ma concentration sur le thème principal du film de Grégory Magne,j'ai suivi avec autant d'intérêt la naissance et le délicat cours d'une amitié, d'une grande complicité et de la tendresse même entre deux êtres que le hasard a fait se rencontrer. Anne reviendra à sa créativité première et Guillaume deviendra initiateur des enfants aux senteurs en faisant ses premières armes dans le cours moyen de sa fille.


Il fallait trouver une fin en rapport avec les deux sujets du film. J'ai aimé le film de Magne au point de faire mon propre film sur les odeurs de ma mémoire. J'ai aimé ce film. Tout simplement.
 
 
 
 
 

Freddy-Klein
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le 7 juil. 2020

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