Nous sommes en 1959. Encore récemment, le jeune François Truffaut était un critique connu pour avoir écrit quelques tribunes incendiaires qui lui ont valu une réputation de véritable trouble fête au sein de la sphère cinématographique. Pourtant, le jeune critique, devenu cinéaste, va donner naissance à son premier long-métrage, Les Quatre Cents Coups, et être consacré à Cannes. Retour sur une histoire pas comme les autres, et un très grand film d’un très grand réalisateur.


La genèse d’Antoine Doinel, l’alter ego de François Truffaut


Bien que constituée d’une vingtaine de films variés et mettant en avant de nombreux acteurs de renom, la filmographie de Truffaut garde pour noyau dur la « saga » dédiée à Antoine Doinel, initiée en 1959 avec Les Quatre Cents Coups. C’est, dans le cadre du film, la rencontre avec Jean-Pierre Léaud, acteur fétiche de François Truffaut, que ce dernier va révéler au grand public. Il va le révéler en tant qu’acteur en lui-même, mais aussi en tant que son double cinématographique. Et ce, en particulier, à travers l’écriture du personnage d’Antoine Doinel.


Truffaut n’a pas eu une enfance simple. Délaissé par ses parents biologiques, éloigné d’un système scolaire qui ne lui plait pas, c’est un élève turbulent qui s’adonne principalement à l’école buissonnière pour fréquenter les ciné-clubs et s’isoler dans les salles obscures pour découvrir des films. La défiance et la quête d’indépendance caractérisent donc la vie du jeune Truffaut, et il est difficile de ne pas établir un parallèle avec le parcours d’Antoine Doinel, notamment dans Les Quatre Cents Coups. S’il ne s’agit alors pas pour le cinéaste de réaliser une autobiographie, il donne naissance à un alter ego, qui contient beaucoup de lui, et qui fait des Quatre Cents Coups un film très personnel.


L’avènement d’une nouvelle génération


On associe Truffaut à la Nouvelle Vague, mouvement cinématographique français qui a débuté vers la fin des années 1950 et s’est notamment perpétué au cours des années 1960, à travers les films de Godard notamment, ou d’Agnès Varda, que l’on associe généralement au mouvement. C’est une période d’expérimentations, de volonté de rompre avec le passé, avec le « cinéma de papa » comme disait Truffaut. Cela fait aussi écho aux évolutions de la société, avec Mai 68 quelque part à l’horizon.


Les Quatre Cents Coups, c’est aussi cette volonté de faire fi du passé, de ne pas se laisser emprisonner par les us, les traditions et les conventions, pour marquer une rupture et entériner le passage vers une nouvelle époque. Les élèves sont souvent désobligeants, voire insolents. Ils ont beau se faire réprimander par l’instituteur, ils ne manquent aucune occasion de se faire remarquer. A travers l’insolence et l’impertinence de ces élèves, on retrouve, quelque part, celle de ces cinéastes de la Nouvelle Vague.


De l’enfance à l’âge adulte : la quête d’indépendance


Bien entendu, le thème principal des Quatre Cents Coups reste l’indépendance. Antoine est à peine adolescent, mais il goûte déjà à l’ivresse de la liberté, à l’indépendance vis-à-vis de l’école et des parents. Toujours encadré par le système scolaire et la famille, qui l’ont fait suivre des directives et un chemin tout tracé, c’est en s’affranchissant qu’il semble être en capacité de se chercher, et de se trouver. A cet égard, la mise en scène de Truffaut est très importante et explicite.


Quand il est en famille ou à l’école, Antoine est toujours dans des espaces clos, fermés, qui emprisonnent le cadre et le spectateur, à l’image de l’appartement très exigu dans lequel il vit avec ses parents. Tous ces espaces fermés, qu’il s’agisse de la classe, du foyer, de la maison de redressement ou du commissariat, sont des entraves à sa liberté. Ce n’est que dans les rues de Paris, ou en extérieur, comme dans les dernières minutes du film, qu’il arrive à prendre son envol.


La liberté, oui, mais jusqu’où ?


Il ne s’agissait pas de dire que Les Quatre Cents Coups est un film qui prône la liberté à tout prix, ni la défiance systématique du système et des traditions. Car si sa force est de remettre en question ces dernières, elle est aussi d’être capable de poser des limites à cette liberté. Ici, Truffaut va jusqu’à l’extrême, exploitant la défiance d’Antoine Doinel au maximum pour sans cesse aller plus loin, jusqu’à l’idée d’une liberté absolue. L’école baisse les bras, puis la police, puis les parents, laissant Antoine à la charge d’un centre d’observation.


Finalement, Antoine s’échappe une dernière fois, dans une dernière séquence devenue célèbre, où il court sur une plage, jusqu’à atteindre la mer, et adresser un dernier regard à la caméra. Cette dernière situation et ce dernier plan sont tout à fait symboliques. La mer, c’est, quelque part, un horizon infini, plein de promesses, une vision de la liberté. Mais, de l’autre côté, il a atteint les limites de la terre, il ne peut plus aller plus loin. C’est, d’une part, l’image d’une liberté inaccessible, fantasmée, et, de l’autre, celle d’une liberté trop importante pour être raisonnable. Et ce dernier regard caméra envoie beaucoup d’émotions et d’interrogations : Est-il dans l’hésitation ? Le regret ? La peur ? Truffaut laisse ici libre cours au spectateur quant à l’interprétation de cette fin.


Les Quatre Cents Coups n’est ni plus ni moins qu’un premier coup de maître pour Truffaut. Le jeune cinéaste réalise l’un des plus beaux films sur l’enfance, faisant preuve d’une pertinence rare, fort de sa propre expérience, et d’un talent de mise en scène incontestable, magnifié par la superbe musique de Jean Constantin. Même si l’on remet en question les principes et les traditions, il n’y a jamais la moindre forme d’agressivité, le personnage d’Antoine étant même très candide, volontaire et idéaliste. C’est une ode poétique et mélancolique à la liberté, qui n’hésite pas, non plus, à lui donner des limites. Paul Eluard écrivait son nom, François Truffaut l’a mise sur pellicule.

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le 18 juil. 2019

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