Un jeune homme à la fois costaud et un peu benêt devient dentiste à son compte sans pour autant avoir de diplôme. Un jour, il rencontre la cousine de son meilleur ami et finit par l'épouser. Juste avant le mariage, la jeune femme gagne à la loterie la somme de 5000$ (ce devait valoir à l'époque presque 100 000$ aujourd'hui). Mais malgré leur bonne fortune, ils vont découvrir à leur dépend à quel point l'argent peut transformer les gens.

Après avoir décide 2 ans et demi plus tôt qu'il me fallait voir ce film suite à la suggestion d'un de mes profs, je me suis enfin lancé dans le visionnage de ce qui pourrait être considéré par certains comme le boss de fin des films maudits. Après un premier montage, Stroheim propose une version longue d'environ 8h30, seuls quelques amis pourront voir cette version puisque le producteur Irving Thalberg (travaillant pour la MGM) lui demandera de raccourcir le film. Stroheim s'exécutera et se présentera avec une nouvelle version d'environ 5h. Thalberg n'est toujours pas satisfait et décide de remonter le film sans la participation de Stroheim cette fois-ci, et il en résultera une version de 2h20 qui sera celle présentée au grand public. Stroheim est atterré et considère que son chef d'oeuvre a été charcuté, le film est un échec lors de sa sortie et il faudra attendre plusieurs décennie avant que les critiques ne le reconsidère, estimant avoir affaire un chef d'oeuvre du cinéma muet aux procédés cinématographiques à l'avant-garde de l'époque, doté d'un récit épique et dramatique incroyable. Il sera alors considéré comme le plus grand chef d'oeuvre de l'histoire du cinéma par de nombreux noms comme Orson Welles ou Billy Wilder. Puis en 1999, une nouvelle version restaurée à l'aide de photogrammes longue de 4h verra le jour et sera considérée comme la plus proche version du film de 5h de Stroheim. C'est cette version que j'ai eu la chance de voir.

Bien sûr, on sent que le film a beaucoup souffert, surtout sa première partie, complètement hachée. En fait, la version de 4h comporte environ 2h20 de film qui correspond à la version officielle, puis environ 90 minutes de photogrammes et d'intertitres qui ont été ajoutés en 99. On se rend compte que beaucoup de choses avaient été élaguées: l'introduction semble avoir été massacrée puisque de nombreuses séquences permettant de développer la psychologie des personnages ne sont pas présentes, toutes les scènes choquantes ont été supprimées à part celle de la fin, et tout un pan du récit, qui suit en parallèle les histoire de 2 autres couples (dont une assez sombre et sanglante) a été supprimé. Grâce à la restauration, on a, dans une certaine mesure, la possibilité de voir ces parties disparues. Par contre, la version originale de 8h30 a brûlé à tout jamais, et beaucoup considère ça comme la plus grande tragédie de l'histoire du cinéma.

Mais qu'en est-il du film en lui-même? Je dois reconnaître que l'histoire ne m'a pas passionné tant que ça sur le coup, mais j'ai tout de même dû me plier face à la grandeur du film. C'est en effet, chose assez rare pour son époque, une violente critique de l'avarice et de l'influence néfaste de l'argent et qui place l'action dans un milieu modeste, pour montrer à quel point l'argent corrompt les coeurs. Le récit est efficace puisqu'il rythme parfaitement l'évolution terrible de ses personnages, mention spéciale à ZaSu Pitts dont le personnage passe de jeune fille ingénue à illuminée cupide et avare. Le film commence ainsi par une romance pour finir en tragédie (Stroheim l'a d'ailleurs pensé comme une tragédie grecque) sur fond de crise économique et pessimisme noire.

Un fond d'une telle ampleur associé à des qualités cinématographiques évidentes pour l'époque a largement maintenu mon attention éveillée malgré mon manque d'intérêt initial pour le sujet. Aussi, l'aspect bâtard du film principalement ressenti à travers de nombreux photogrammes et un récit très elliptique lui confère un charme indéniable. Du coup, que l'on aime ou non, on ne peut nier l'évidence d'être face à une pièce maîtresse de l'histoire du cinéma sur bien des aspects. De plus, le fait qu'Erich von Stroheim soit lui aussi un producteur de renom alors qu'il a créé un film aussi critique envers l'argent et qu'il a dû se battre avec les producteurs de la MGM, notamment Thalberg (qui est loin d'être un massacreur de films comme cet épisode le laisserait entendre, il était en fait le plus talentueux producteur de sa génération) rajoute une ironie douce-amère sur l'histoire incroyable de ce film.

Finalement, plus le temps passe après visionnage et plus je réalise à quel point le film est grandiose.

Créée

le 24 avr. 2014

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LeJezza

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