Sous son titre français à côté de la plaque, Les Révoltés de l'an 2000 est une immersion intéressante dans le cinéma fantastique espagnol post-franquiste. Serrador semble vouloir profiter du changement politique tout frais pour enfoncer les tabous sociaux avec sa fable cruelle sur le dévoiement de l'innocence, perversion d'une pureté infantile pourtant déjà salement souillée par les exactions historiques des Hommes ; les images d'archive éprouvantes qui ouvrent le film sont là pour le rappeler (extermination, famine, napalmisation...).
Pour apprécier ¿Quién puede matar a un niño?, il faut savoir composer avec les tics du fantastique européen de cette époque : le rythme est très lent, avec une recherche d'onirisme parfois répétitif dans l'attitude vaporeuse/sidérée du personnage principal lorsqu'il découvre sans trop réagir les violences commises par les protagonistes, alors que le spectateur a déjà bien compris ce qu'il se trame. Des années de digestion de cinéma horrifique, entre autres de slasher, peut également amener à s'amuser de certains comportements illogiques qui apparaissent aujourd'hui comme des clichés du genre. On saura arguer que cela témoigne de l'impensable pour les adultes que d'admettre que des enfants puissent être de tels meurtriers.
Une fois cela accepté, le film offre de nombreux éléments cinématographiques intéressants : la photographie solaire qui accompagne cette ambiance caniculaire, le choix d'enfants à têtes d'ange et à l'attitude ludique qui semblent déconnectés de la gravité de leurs actes, les scènes de rassemblement de masse dont l'absence d'individualité évoque fortement les films de zombies (tandis que leurs poses figées et scrutatrices - très belles séquences - rappellent les Oiseaux) ou la thématique de la contamination qui, là encore, fait penser à nos amis morts-vivants. La scène dans l'église, avec son détournement malsain des codes liturgiques est également marquante, surtout quand on l'imagine dans son contexte d'époque.
Les 2 séquences finales sont une autre grande réussite du film, avec moult idées étonnantes qui je me garderai bien de divulgâcher mais qui justifieraient à elles seules la découverte de ces Révoltés. Elles en rendent la lecture plus complexe car traversée de concepts contradictoires sur le rapport des adultes aux enfants (faut-il les respecter quitte à avoir des enfants rois ou bien les napalmer pour restaurer un semblant de cadre éducatif ?), et même si la thématique de l'avortement résonne explicitement, dur d'affirmer ce que Serrador souhaite en dire.
¿Quién puede matar a un niño? est donc une belle découverte, qui aurait sans doute bénéficié d'un montage plus resserré afin de ne pas perdre certains de ses spectateurs en route, et pour peu qu'on accepte de se laisser porter par son rythme indolent (sans doute l'effet de la chaleur hispanique).