Le film d’enfants tueurs est un sous-genre bien connu du cinéma d’horreur. De La Mauvaise Graine en passant par Le Village des damnés jusqu’à Children of the Corn et plus récemment Ils, Eden Lake, Esther ou encore The Children, l’idée même que nos chères têtes blondes puissent se retourner contre leurs géniteurs nous a toujours terrifiée. En effet, quoi de plus effroyable que de voir une créature inoffensive, innocente, et qui plus est chaire de notre chaire dans le pire des cas, se transformer en goule diabolique capable de nous envoyer ad patres sans sourciller ? Ce gimmick est donc monnaie courante dans le film de genre depuis les années 50, mais rares sont les réalisateurs ayant utilisé ce motif en tentant de lui apporter une réelle épaisseur thématique, une certaine résonance politique. Et c’est précisément ce que parvient à accomplir Narciso Ibáñez Serrador avec l'étonnant et injustement méconnu Les révoltés de l'an 2000 adapté du roman El juego de los niños (Le jeu des enfants) de Juan José Plans. Une perle macabre datant de 1976 que je vous propose de découvrir dans cette quatorzième itération de la petite rubrique des horreurs.

Tom et Evelyn, un couple de touristes anglais en villégiature sur la cote espagnole, loue un bateau pour se rendre sur l'île l’Almanzora, loin de l’effervescence des stations balnéaires. Il débarquent ainsi dans un petit village isolé où les enfants ont pris le pouvoir et n’hésitent pas à assassiner de sang froid tous les adultes qu’ils croisent sur leur chemin. Traqués par cette meute de bambins psychotiques guidés par une force inconnue, ils tentent tant bien que mal de fuir cet abattoir à ciel ouvert.

ileL’ouverture des révoltés de l'an 2000 ne fait pas dans la demi-mesure. Dans un montage outrancier éminemment “mondo”, Narciso Ibáñez Serrador utilise des images d’archives de différents conflit armés - de la seconde guerre mondiale à la guerre du Vietnam - afin de dénoncer les atrocités que ces guerres font subir aux enfants. Dommages collatéraux d’affrontements dont ils ne sont que les témoins, ils sont les victimes innocentes dont ont préférerait ignorer l’existence et que Serrador nous jette au visage. Le procédé est volontairement grossier, manipulateur, les images d’une violence insupportable, mais l’impact viscéral de cette introduction crée dés les premières minutes du film un malaise qui ne quittera plus le spectateur jusqu’à la conclusion.

Un bon moyen de marquer les consciences au fer rouge et d’insister sur le fait que ce film est avant tout porteur d’un message. Un message quelque peu balourd, présenté sans grande subtilité, mais qui a le mérite de classer Les révoltés de l'an 2000 parmis ces films de genre “pensant” comme La Nuit des morts-vivants de George A. Romero avec lequel il partage de nombreux points communs. Car ici, comme dans le classique du maître de Pittsburgh, la menace est la manifestation concrète de nos excès, l’incarnation menaçante de notre sauvagerie.

Oeuvre indissociable de son époque, commentaire sur la décomposition progressive de nos sociétés, Les révoltés de l'an 2000 nous juge ainsi coupables de léguer aux générations futures un monde en sang où règne la loi du talion. Notre barbarie est donc le terreau au sein duquel se développent les sociopathes peuplant notre futur et nos deux héros Tom et Evelyn sont ici confrontés aux conséquences de nos actes. La violence engendre la violence, la cruauté enfante des monstres. Pas très subtile mais efficace, je vous avais prévenu.

Si finesse il y a dans ce shocker ibérique, elle réside sans aucun doute dans la manière de distiller petit à petit la terreur, dans cette façon si méticuleuse de construire une atmosphère étouffante. Car, à l’exception de quelques scènes chocs, comme celles de “la canne”, “la piñata” ou “le kamikaze infiltré” (je reste volontairement évasif, mais vous m’en direz des nouvelles), Les révoltés de l'an 2000 est avant tout un film d’ambiance au rythme lent. Très intelligemment, Narciso Ibáñez Serrador prends son temps pour nous faire connaître et apprécier ces deux héros. Il construit ainsi patiemment ses personnages, développe une véritable empathie envers eux, afin d’établir un lien solide entre le couple et le spectateur qui rendra d’autant plus déchirant le spectacle de leur calvaire à venir.

C’est dans sa seconde partie que Les révoltés de l'an 2000 décolle véritablement, accélère progressivement et accumule les excès jusqu’à un final tétanisant confirmant sa parenté avec l’oeuvre culte de Romero. Pourtant, Serrador semble fuir la facilité et n’utilise que très rarement les ficelles traditionnelles du film d’horreur. Au contraire, il préfère déstabiliser le spectateur en l'immergeant dans un univers atypique, presque idyllique auquel il n’est pas habitué dans les productions de ce genre.

Tourné dans un petit village de pécheurs baigné de soleil, le film joue ainsi le contre pied et présente un univers immaculé où les silhouettes des personnages se perdent dans des cadres amples, comme écrasés par leur environnement. Cette approche parfaitement adaptée rend d’autant plus prégnant le contraste entre beauté du décor et horreur de la situation, ampleur de l'île et isolement des héros, multitude d’enfants et solitude du couple. Un décalage omniprésent donc, utilisé comme leitmotiv dans une oeuvre qui érige en maîtres mots oppositions et dissonances.

Brûlot antimilitariste sans concession, Les révoltés de l'an 2000 frappe obstinément là où ça fait mal et propose une expérience éprouvante ne ménageant à aucun moment le spectateur. Pas d'esbroufe ou d’effets de style superflus dans ce film âpre fuyant les artifices pour renforcer son aspect subversif. Jugé trop violent lors de sa sortie, le film est censuré ou tout bonnement interdit dans bon nombre de pays européens mais remporte tout de même le Prix de la critique au Festival international du film fantastique d’Avoriaz en 1977. 37 ans plus tard, il n’a rien perdu de sa puissance évocatrice et fascine par son courage, impressionne par la confiance de sa vision. Les révoltés de l'an 2000 est peut-être une des plus belles propositions cinématographiques du cinéma de genre espagnol des années 70 et se pose comme le pinacle artistique de la carrière d’un réalisateur qui délaissera malheureusement le cinéma pour la télévision après ce film afin de se consacrer à Historias para no dormir, sorte de déclinaison locale de La Quatrième Dimension.

Les Révoltés de l'an 2000, de Narciso Ibáñez Serrador (1976). Disponible en DVD chez Wild Side
GillesDaCosta
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le 30 juin 2014

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Gilles Da Costa

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