Le premier plan annonce la couleur...
Une goutte de sang tombe en gros plan dans la poussière, le deuxième plan nous montrant Dakota Fanning en mini jupe, le sang de ses premières règles coulant entre ses cuisses, courant vers les toilettes d'une station service pour y bourrer sa culotte de PQ avant de partir en virée... Le ton est donné !
The Runaways ne sera pas un biopic à la naphtaline comme savent si bien les faire les américains mais bel et bien un film qui sent la sueur et les hormones femelles.

Le film n'a hélas pas reçu l'accueil qu'il aurait mérité chez nous, sans doute parce que le groupe The Runaways est globalement inconnu au bataillon en France et que Joan Jett n'y fait quasiment figure que de "One-hit-wonder" avec son tube I Love Rock'n'roll.

C'est pourtant une œuvre qui mérite une vraie attention tant elle frappe de premier abord par une relative rugosité, assez étonnante dans le genre
On sent assez vite que, si la réalisatrice se plie évidemment aux règles hollywoodiennes du biopic, retracer la carrière du girls band ne l'intéresse pas tant que de traiter de l'adolescence, des ses révoltes et de ses errements, de la naissance et de l'affirmation de la féminité et de la sexualité, ainsi que de l'ambition artistique, de ses trahisons, ses écueils et ses échecs.

Là où le film s'enlise un peu parfois, c'est justement dans ses aspects "biopic" les plus traditionnels, lorsqu'il retrace le début de la carrière et les premiers succès, notamment au Japon.
Mais il surprend chaque fois par une vivace capacité à restituer l'électricité de la scène, le trouble des expérimentations sexuelles (l'étonnante scène d'apprentissage de la masturbation) ou l'opposition entre le lent naufrage et les doutes de Cherry Currie (Dakota Fanning) et et l'ambition inébranlable de Joan Jett (Kirsten Stewart).
La description de cette forte amitié qui lie ses deux jeunes femmes ainsi leur batteuse Sandy West (Stella Maeve, excellente !) est sans doute une des choses les plus sensibles et réussi qu'il soit donné de voir concernant les amitiés féminines.
Jusqu'à la bisexualité sur laquelle le film ne l'alourdit pas, en la montrant frontalement mais avec un certain tact comme une simple expérience en ces temps de glam rock androgyne et de libération sexuelle et qui amplifie encore davantage la force de cette peinture d'une belle amitié adolescente.

Le film excelle également dans la description de tout ce qui constitue l'envers du décor, la création des chansons, les répétitions, les relations avec le producteur Kim - Hysteria King - Fowley et l'industrie du disque, les fans, les médias.
Mais aussi plus simplement dans la discrète description d'une jeunesse en quête de modèles forts: les figures "paternelles" de Bowie, les Sex Pistols & Iggy Pop et "maternelle" de Suzi Quatro ne sont pas que des posters sur les murs des chambres ou des Tee Shirt que l'on arbore, mais bel et bien des parents de substitution face aux difficultés rencontrées par ces jeunes femmes et surtout de puissants modèles artistiques. La figure grotesque du mentor Fowley s'opposant alors vulgairement aux figures mythiques des maîtres artistiques. Fowley incarne la réalité impitoyable du marché de la musique et de ses plans marketing, de ses manipulations, ses compromissions et cette dure réalité se confronte alors cruellement aux mythes rock'n'roll fondateurs et aux rêves de jeunes filles qu'ils ont pu susciter.

Mais là où il s'avère chaque fois le plus touchant et même me plus émouvant c'est lorsqu'il s'attache au plus près des personnages et de leurs doutes, de leurs désirs et de leurs émotions.

L'incapacité de Cherrie Currie à tenir les liens qui l'unissent à sa famille autrement que par des "cadeaux", drogues, argent, sac... etc...
Son affirmation excessive d'une sexualité débridée et son usage abusif des drogues qui la détachent peu à peu de sa véritable identité pour l'abaisser au rôle imposé par le marketing.

L'ambition inaltérable de Joan Jett et les petites trahisons qu'elle implique. Montrant qu'on arrive pas au sommet sans laisser quelques cadavres dans le placard... Sans pour autant jamais en faire un personnage cynique ou déplaisant.

Le cynisme et le ridicule dandysme rock du producteur, caricature du mentor glam-rock, rendu parfaitement crédible par un Michael Shannon tellement coutumier des rôles borderline qu'il parvient à jouer les cabots en évitant de cabotiner lui même ce qui est ici un véritable exploit vu la teneur du personnage.
Sa performance vaudrait à elle seule de voir le film et on pourrait imaginer facilement comment la présence d'un vrai acteur cabot à l'écran aurait pu totalement saborder le film et en compromettre l'intégrité et cette belle honnêteté qui transpire à chaque plan.

L'intelligence de cette première œuvre repose en effet énormément sur la force de son casting : outre l'exceptionnelle présence de M.Shannon, on admire vraiment la belle prestation de Kirsten Stewart qui parvient à utiliser son corps de manière très subtile apportant au personnage quelque chose de masculin sans tomber dans la caricature "butch" de la rouleuse de mécanique et en composant un personnage assez poseur, sans jamais minauder elle même.

Mais la palme revient sans conteste à Dakota Fanning qui imprime véritablement la pellicule.
L'insupportable gamine de La guerre des mondes, dont on espérait tout au long du film qu'un alien lui arracha la tête pour la faire taire, est ici devenu une jeune femme... certes, ce sont des choses qui arrivent et cela n'est pas louable en soit. Les seins poussent pour toutes les jeunes femmes et en fait... on s'en fout.
Mais il suffit ici de la voir chanter en playback Lady Grinning soul de David Bowie dès le début du film, de la voir danser sur Rebel Rebel ou brailler ChChChChChChChChChCherry Bomb en live pour s'enthousiasmer de sa magnifique et étonnante métamorphose.
Elle fait exister le personnage de Cherry Currie de manière inouïe, dans toutes ses failles, ses forces et son ambivalence avec un talent et une apparente facilité qui forcent l'admiration.


Si l'on ajoute à cela une bande son plutôt bandante et un travail extraordinaire car très discret et crédible sur les costumes, les décors et les maquillages qui évitent l'effet "revival 70's" amidonné pour nous plonger sans aucun doute dans l'époque...
Je pense qu'on tient là ce qui se fait de mieux dans le genre aux USA et les débuts plus que prometteurs d'une jeune cinéaste venue du clip vidéo - Floria Sigismondi - qui à l'instar de ses héroïnes semble en avoir "dans le pantalon" !

Je vous conseille à ce propos une petite visite sur son site pour y découvrir le remarquable travail de photographe pour lequel sa renommée devient mondiale.

Créée

le 11 août 2014

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