"Un thriller hypnotique" : c'est le commentaire du magazine Variety sur le film, apparaissant sur le DVD. Hypnotique, ce n'est pas faux : avec sa musique entêtante, ses couleurs très travaillées (certains personnages sont associés à une couleur, le blanc pour Marco, le rouge pour Elysée, le jaune pour Jacques...), ses plans parfois oniriques (les paires de chaussures en vrac dans l'usine), il installe indubitablement une certaine atmosphère. Ce que Claire Denis sait bien faire, qu'on pense au récent High Life ou à son insurpassé Beau Travail.
Thriller ? Là, c'est moins sûr. Claire Denis joue trop la carte de l'ellipse et du mystère, tout est donc très décousu, et ce manque de lisibilité paraît souvent artificiel. A force de ne rien expliquer, on perd un peu le spectateur : par exemple, on ne comprendra jamais pourquoi la mère a laissé abuser sa propre fille en connaissance de cause... ni pourquoi celle-ci était consentante. Tout cela peut se concevoir, encore eût-il fallu le développer. Mais ce serait sans doute trop "classique" ?... On a un peu l'impression que Claire Denis veut "faire cinéma d'auteur", en chargeant la mule... Notamment sur l'aspect glauque : traces de sperme sur le coussin du baisodrome, sang qui coule des cuisses de Lola Créton, plan final très explicite sur les sévices subis (et acceptés) par cette dernière...
On veut choquer le bourgeois - ce qui est devenu très difficile aujourd'hui. On se veut radical, mais on n'évite pourtant pas les clichés : comme la représentation très masculine de la sexualité (eh oui, même par une cinéaste), celle qui veut que les femmes n'aiment rien tant qu'un mec viril, qui les prend brutalement sur le parquet et fait son affaire en quelques coups. S'il peut en plus se montrer froid et abrupt dans ses propos, c'est encore mieux : ainsi Raphaëlle hésite-t-elle entre un mari qui la traite soit comme une pute ("branle-moi" est la première phrase qu'on lui voit lui adresser) soit comme un larbin ("va me chercher un Pérrier"), entre ce mari donc, et un amant qui la séduit en lui balançant "c'est ça que vous appelez laver une chemise ?" puis la quitte, son affaire faite, sans un mot. Rien de nouveau depuis La rivière sans retour... L'homme irrésistible est un taiseux, qui sait résoudre les problèmes (réparer un vélo), aime la vitesse, se met en colère, fume clope sur clope, autant de signes (parfois risibles) de virilité. Vincent Lindon incarne très bien ce modèle-là. Par contre, il faut ar-ti-cu-ler un minimum sinon on ne comprend rien ! Même problème dans le plus récent Rodin. Alex Descas et Michel Subor (sorte de DSK) sont, eux, parfaits.
On s'attarde complaisamment sur les scènes de sexe, tout en faisant péniblement avancer une intrigue, mais attention, tout en veillant à lui conserver son caractère nébuleux ! Du grand art, on vous dit.
J'ironise, mais c'est tout de même vrai que le film a des qualités cinématographiques. Je ne serai donc pas aussi sévère que la moyenne de SC, en-dessous de 5 au moment où j'écris. Claire Denis a un univers, un style, c'est déjà une belle chose. Même si cela ne débouche pas toujours sur des réussites.