Les Salauds : le titre claque. Et puis le pitch aussi : la patte de Claire Denis est là, dans ces phrases solennelles du synopsis, dans cette belle parade écrite, cette tentative courageuse de donner un semblant de dynamique profonde à une oeuvre qui se la cherche plus de 90min durant. Le plus « amusant » durant la projection (vous savez, ces jeux intérieurs qui peuvent nous servir de bouée de sauvetage au cinéma lorsqu’à l’écran, c’est le naufrage!), c’est d’essayer de deviner comment la cinéaste a bien pu procéder pour aboutir à quelque chose d’aussi décousu et creux. Aurait-elle écrit le mot « salaud » sur une feuille blanche puis tracé de petites flèches tout autour pour le relier à d’autres termes dans l’air du temps : « argent », « sexe », « déviance » (« DSK » ?!) ? Malgré quelques tentatives assez ridicules (la revue de presse en ligne sur le personnage du financier véreux), Les Salauds échoue cruellement à être un film en prise avec son époque.
Ce qui pourrait presque constituer une qualité du film, c’est ce parti-pris de limiter au maximum les indications de lieux, les éléments de contextualisation ou autres précisions du genre afin de donner plus d’importance au temps présent, à la découverte progressive des enjeux de l’histoire et surtout aux corps en présence. C’est généralement ce grâce à quoi Claire Denis sauve ses films du naufrage : quelque chose de vaguement mythologique. Souvenons-nous de ces héros antiques de Beau Travail (2000), de ces hommes-animaux de S’en fout la Mort (1990) ou des créatures surnaturelles de Trouble every Day (2001). L’impression fascinante procurée par quelques plans-tableaux iconiques et presque sur-réels durait au pire une dizaine de minutes, au mieux tout le long des opus en question. Dans Les Salauds, la chose est limitée au temps qu’il faut pour voir débarquer le personnage de Vincent Lindon, mystérieux héros des mers venu à la rescousse de sa soeur et de sa nièce suite au suicide de son beau-frère. Très vite, la réalisatrice assaille son personnage d’intrigues obscures et vite griffonnées qui s’entremêlent si mal qu’aucun personnage n’existe vraiment en dehors de celui de Lindon. Presque tous ne sont que des archétypes figés dans des poses lascives, auxquels on aurait oublié de donner un semblant d’âme.



Pression du monde économique et financier, déviance sexuelle bourgeoise et égarement adolescent : le film multiplie les thématiques en espérant que leur entrechoquement dise quelque chose du monde d’aujourd’hui ou – mieux – « de l’Homme ». Claire Denis débouche sur un questionnement bien embarrassant : qui sont les salauds du titre ? Cette caricature de ponte pervers de la finance ou ces personnages brossés à gros traits et pris dans un drame familial qui n’a jamais peur de la surenchère ? Pour le regard aigu sur le monde d’aujourd’hui, on repassera. Quoi qu’il en soit, au moment où la question vient à être posée, on ne s’intéresse déjà plus à la réponse. Claire Denis non plus. Elle « qui a peiné à trouver son film au montage » (disait Thierry Frémaux, qui lui a néanmoins laissé sa chance à Cannes, heureusement pas en Compétition) y a privilégié des bottes de pluie qu’on enfile, des vagins ensanglantés, une main qui caresse une moquette. Même ce prétendu cinéma des corps et des sensations est raté : il aurait fallu, pour faire son effet, éviter de briser toute dynamique de sensualité visuelle par des répliques-couperets vainement choquantes (« Branle-moi », « Il faudra lui réparer le vagin », etc.).

Ne reste dès lors à la cinéaste qu’un attirail de cinéma d’auteur français frelaté : plans insistants mais inutiles sur des éléments de décor, dialogues mal articulés pour gagner en contenance, gueulantes ou impassibilité improbable comme uniques réactions humaines possibles face aux événements les plus dramatiques et B.O. un peu cool d’un groupe anglophone (les fidèles Tindersticks). Claire Denis n’a rien à dire, mais elle le dit très sérieusement.
Courte-Focalefr
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le 6 juil. 2013

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