Cinéma tout en zones d'ombre, complexe et caressant celui de Claire Denis continue d'opérer avec ce drame puissant emprunt de sordide et de noirceur, magnifié une nouvelle fois par la lumière sousexposée d'Agnès Godard et la bande originale progressive du groupe Tindersticks - déjà auteur de la superbe composition de Trouble Every Day... Une succession de nappes sonores feutrées parfaitement conjuguées aux images nocturnes, comme taillées dans le goudron par la chef opératrice de la fameuse romance cannibale réunissant Béatrice Dalle et Vincent Gallo, frémissements souterrains témoignant d'une filmographie sensible et cohérente, esthétiquement sobre tout en demeurant précise et superbement mise en scène.


Dans ce formidable bijou cinématographique que représente les salauds surgit le sentiment pugnace d'un scénario brillant, intégralement fin et troublant qui nous immerge dans les arcanes d'une famille décomposée et ceux d'un couple bourgeois, sourds malaises autour desquels crapuleries et affaires de chantage partagent une frayance morbide avec sévices et réseaux pédophiles. Sans que rien ne soit jamais explicité clairement par la cinéaste le spectateur parvient à suivre le métrage avec un intérêt constant voire palpitant, via un rythme narratif particulièrement original ainsi qu'équilibré : patiemment Claire Denis installe ses personnages dans la terrible situation de son sujet, pariant sur l'intelligence et la perspicacité de son audience. Au détour d'un geste, d'une main, d'une nuque ou d'un objet elle nous entraîne dans un polar crépusculaire dont nous sommes les principaux procéduriers, nous invitant à rassembler les bribes de son nouveau long métrage dense et torturé. Cette structure morcelée, marque de fabrique de l'auteure, trouve ici un niveau de maîtrise inédit tant elle se situe élevée dans son ambition dramatique et scénaristique. Mis en scène au cordeau tout en affirmant sa modernité au travers d'un cadre urbain et d'un propos alarmant les salauds permet à Vincent Lindon de signer une prestation à la fois docile et flamboyante dans sa réserve, héritage de la pantomime et du travail du corps ; aussi méfiant qu'il est inquiétant son personnage de Marco Silvestri confère en outre une véritable animalité à l'ensemble, jouant d'une hargne renfrognée mais tenace.


On trouvera dans ce suspense ample et lyrique quelques habitués du cinéma de Claire Denis ( notamment Alex Descas et Grégoire Colin, ce dernier irradiant l'écran lors d'une scène de déviance alcoolisée...) et un Michel Subor météorique en homme d'affaire pervers et machiste. Un cinéma des heurts et des corps brisés laissant aussi bien la place au poétique qu'au psychologique, sans que rien ne soit complètement résolu en bout de course. La coda du film, en plus d'être foncièrement utile et surprenante, fait littéralement prendre conscience d'une horrible réalité. Un très bon film.

stebbins
8
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le 20 mai 2015

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stebbins

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