Un film en cinémascope et en couleurs si délicieusement 50's, d'entrée de jeu ça me botte.
Moi, docile, je ne fais ni une ni deux, je m'installe au chaud sous ma couette en plumes que je chéris plus que tout l'or du monde, et je me lance le truc, un petit rouge à portée main, c'est le week-end, nous ne sommes pas des bêtes.

Puis directement l'histoire démarre. Ah, pas de doute, on est bien à Hollywood, et mon pauvre Béla Tarr n'aurait même pas voulu regarder un scénario aussi bien exposé.
Pensez-donc, notre ours de canne arrive en ville, ça fait pas trois minutes de film (montre en main), que déjà on connaît toute l'intrigue : Le bonhomme débarque en ville, et il entend ramener de la donzelle travailleuse pour lui et ses six frères. Alléchant, n'est-ce pas ?

Alors bien sûr, y'a du roux partout, bien plus que de raison, et ça, c'est pas très très bon. Mais finalement on a un peu le même effet que dans un film bollywoodien où les couleurs sont tellement excessives qu'elles en deviennent agréables (voire plus, euphorisantes), et tous ces roux sont si comiques que l'on oublie qu'ils sont roux, ou qu'on en profite. Bon, bien sûr, le rouquin c'est pas ce qui est le plus demandé sur le marché de l'acteur hollywoodien, alors vous pensez bien, sept d'un coup, c'était pas possible. Du coup le dernier est blond assez pétant, mais c'est pas très grave, on met ça sur le compte de son jeune âge, un peu comme s'il n'était encore qu'un enfant et qu'il allait roussir avec l'âge.

Forcément on a un brin de machisme, toujours un plus au cinéma, on est bien d'accord.
Rajoutons à tout ça un air franchement western, période oblige, un héros avec un timbre de voix de baryton très chaud, on s'attend à entendre des numéros de pure country à tout moment.
Et pour cause, mieux encore ! À peine entrée dans la première auberge qu'on a droit à quelques égrenages de cet instrument qui me mettra toujours le sourire, la guimbarde !
Puis de retour au village on a droit sans traîner à une superbe scène de bagarre, plus vraie que vraie, ça distribue des coups, en reçoit, et en redonne à tire d'aile, trois contre un mais c'est sans la moindre agitation que le grand bûcheron va les étaler l'un après l'autre, sans pour autant chercher particulièrement à esquiver les coups. Et la petite intervention « Do something ! » « What for ? There's only three on one », accompagné d'un geste traduisant la plus innocente incompréhension. Du grand art, vous dis-je !
Puis-je avouer que je me suis repassé la scène deux fois d'affilée ? Et je crois que c'est surtout pour les bruitages. Ce que j'aime ces bruits tellement factices de coups de poing, mais qui à force d'avoir été utilisés et réutilisés sont rentrés dans notre inconscient à tel point que si l'on ne se pose pas la question (est-ce qu'un coup de poing fait vraiment ça ?) ils paraissent les plus naturels du monde, légitime presque ! C'est comme le coup de fouet, qu'on faisait avant à l'orchestre en claquant une baguette de bois. Aujourd'hui, on le fait encore ainsi, parce que c'est un code tellement ancré dans notre cerveau qu'une imitation plus rationnelle ne ferait que nous perturber, perturber l'image que l'on en a, et du coup la rendre fausse, tout bêtement.
Et n'oublions pas la suivante, nettement plus spectaculaire, bien qu'un peu moins réjouissante à mon goût. Il y manque l'aspect trois contre un et le côté je-ramasse-les-coups-sans-m'en-apercevoir.

Alors c'est sûr que Howard Keel doit avoir le sex-appeal d'un tronc d'arbre, mais entre nous, j'en ai vraiment rien à f*****, c'est le sexe opposé qui doit me charmer.
Lui est assez parfait dans son rôle de bûcheron, rien à redire de ce côté là. Enfin, si, lorsqu'il se rase c'est bien dommage, ça lui donne un air moins franc du collier. Idem pour ses frangins.
Et cette petite blondinette est tout à fait adorable. Entre sa première apparition en bûcheronne, sa deuxième en cuisinière, on ne sait plus où donner de la tête. Et pour ne rien enlever à la chose, elle a du répondant et un sacré caractère, chose que j'admire par dessus tout.
Puis l'association a du charme à revendre, quand on a un plan sur les deux, et qu'elle ne lui arrive pas à l'épaule (mais vraiment pas), avec sa petite tête blonde.
Alors après, bon, c'est pas non plus une beauté fatale, Audrey n'a pas trouvé encore à sa mesure, mais c'est un joli petit bout de femme. A noter une petite brune très charmante aussi parmi les conquêtes des frères cadets.

Contrairement à Gizmo je trouve que ça démarre très fort, les chansons sont réjouissantes au possible, et on a déjà une situation cocasse après dix minutes, qui m'a arraché un rire bien franc. J'aime les femmes, mais j'aime aussi les voir souffrir un peu, et lorsque la petite, en extase, énonce à son nouveau mari « how wonderful it will be to cook and care for one man, juste one man », et qu'en parallèle on voit le sourire du grand benêt derrière redescendre, son air embêté, son raclement de gorge significatif lorsqu'elle commence à chanter, un sourire digne du plus merveilleux Noël sur les lèvres ; c'est absolument adorable.
Les chansons sont d'ailleurs toutes réjouissantes au possible, c'est pas toutes les comédies musicales qui réussissent si bien ce qui fait pourtant tout leur charme, insuffler une telle tendresse et un tel sourire au spectateur. Torpenn, voilà une liste pour toi : « Top 15 des comédies musicales les plus réjouissantes ». Malheureusement il y manquera toujours « Les Demoiselles de Rochefort », comédie musicale réjouissante s'il en est.

L'avantage des comédies musicales, c'est que si l'histoire se dégonfle un peu, y'a toujours quelques numéros musicaux qui viennent ça et là, et moi, la musique, ça me change un film. Du coup on est distrait si ennui il devait y avoir (c'est même pas le cas ici), puis ça vous rythme un film en diable.
Musicalement, c'est fait avec soin, très hollywoodien tout ça, on a des petits traits d'orchestre pour souligner telle action ou tel sentiment, des ressorts musicaux comiques ou tragiques, des motifs mélodiques que l'on retrouve tout au long (le très entêtant « Bless your beautiful hide »).
Après bien malheureusement, c'est ce soin si classique qui nuit tant aux numéros musicaux des comédies hollywoodiennes (et qui me fait comprendre et respecter toutes les expériences sonores et musicales plus ou moins heureuses de la nouvelle vague française en réaction à cette fabrique trop uniformisée américaine), et il faudra attendre un WSS pour que la musique dans la comédie musicale soit réellement une œuvre d'art transcendante. Enfin, je ne crache pas sur la délicieuse ritournelle qui me revient si souvent sur la langue de « Meet me in Saint Louis, Louie », ou l'inévitable « Singin' in the rain » qui me fait bénir chaque jour de pluie. Puis chaque numéro de « Singin' in the rain », ce film est un peu hors-concours, même si je maintiendrai toujours que sur un plan strictement musical entre WSS et « Singing in the rain » y'a pas photo. Mais, je m'égare là, non ?
Vient le concours de danse, et alors là j'étais vraiment sidéré. Très WSSrien justement, on retrouverait presque les Jets et les Sharks, dans ces combats de danse orchestrés assez brillamment. Visuellement splendide aussi, et des chorégraphies de haut vol, sur une bonne vieille danse qui sans être un square danse était tout à fait délicieuse.
Une scène de bûcheronnage musical dans la neige effectivement, sûr c'est très rafraîchissant, mais j'en attendais un poil plus. En fait j'espérais que ce soit une scène joyeuse, pleine d'entrain, et pas du tout. Enfin restons sérieux, y'a quand même quelques jolis pas de danses exécutés avec une hache virevoltante en main, cette dernière rythmant toute la séquence assez intelligemment.
A l'inverse, j'avais complètement oublié la mention de l'imitation du chat, et elle est si bien faite que j'ai à nouveau éclaté de rire.
Une scène musicale dans le dortoir, avec un régiment de filles esseulées aussi, y'a pas à dire ça prépare la nuit en beauté.

Pour revenir au(x) problème(s) de la comédie musicale américaine, les arrangements sont un peu (carrément ?) lourdingues, on y va à grands renforts d'orchestre utilisé avec une maîtrise de la notion de parcimonie qui remet à l'état de pur concept l'éventuelle existence de mon petit Fauré. On dira ce qu'on veut quand c'est Legrand ou Bernstein qui s'y collent, c'est quand même pas la même chose, à se demander si ça appartient de près ou de loin au même genre musical.
Sinon y'a rien à faire, cette prise de son très, très artificielle me dérange toujours, on sent tellement le décalage entre ce qu'aurait été une prise de son en plein air, avec des acteurs en mouvement, et ce que l'on nous sert, un enregistrement de studio post-synchronisé d'une époque durant laquelle le métier d'ingénieur son n'était encore qu'une vaste plaisanterie.
Puis ça peut chanter en pleine forêt, on peut être sûr que pour l'occasion tous les oiseaux se seront tus, et que le vent passera ce coup-ci silencieusement entre les branches.
Enfin, ma chère grand-mère dirait alors « si c'était là toute la misère du monde... », et me rangeant à son avis, on passe bien volontiers outre.

Heureusement la direction artistique de Cedric Gibbons est comme à son habitude simplement délicieuse, et des décors un poil douteux se transforment en un petit enchantement de poésie, d'agencement de tons très harmonieux. Dieu bénisse le technicolor, cela va sans dire, et ce type a un don avec proprement hallucinant, qui me ravi chaque fois un peu plus.
Et l'on se demande tout naturellement pourquoi ce film n'a pas sa place dans le top 15 Cédric (je le fais, ne le fais pas ? Allez, je le fais) Jambon de Torpenn.

Les dialogues sont de très haut vol, un humour assez fin mêlant adroitement rustrerie et subtilité, pari sur lequel des centaines et des centaines (sans exagérer) de réalisateurs se sont cassés les dents.
Ça ajouté à un comique de l'air-de-rien assez adorable : l'arrivée à la ferme familiale en est un bon exemple, avec la perte des illusions de la pauvre petite. Le contraste avec sa chanson démesurée juste avant ne fait qu'approfondir (non, pas Bogart, Torpie) l'empathie doublée bien entendu d'un certain sentiment de fourberie dû à la jouissance qu'on éprouve pour sa désillusion. La présentation des frères par couches successives devient un réel plaisir, qui va culminer avec le tout premier plan de la maison, plan d'ensemble qui nous fait voir dans toute sa splendeur le duel éclair entre la volonté de notre ours et l'instinct animal de la poule, juchée sur la table au premier plan. Avec la donzelle qui y assiste au fond, et dont les pensées sont assez transparentes : « Doux Jésus ».
D'une façon générale, l'entière visite de la maison sur fond de bataille de roux est un moment truculent au possible, le moment où j'ai commencé à me dire « Diantre, mais c'est quand même vraiment bon cette affaire !! » (deux points d'exclamation ne me semblent pas de trop). Dommage qu'il soit si court, je l'aurais bien vu se prolonger dans une ou deux pièces encore avec toujours plus de roux en folie.

Et puis tout ça m'a tellement rappelé ma jeunesse, bon, nous n'étions que trois frères, mais trois frères affamés, et si nos manières n'ont jamais été à ce point catastrophiques, la première arrivée à table m'a rappelé bien des souvenirs.

Bon, puis tout ça sans oublier bien sûr le pitch de l'histoire, ce sur quoi elle est construite : une bande de frères roux bûcherons, qui en mal d'amour vont tout simplement choisir la solution lambda de l'enlèvement de leur douce aperçu une fois au bal. Simple, et tellement efficace.

C'est drôle, je n'avais jamais vraiment envisagé Stanley Donen comme un cinéaste à part entière, et je pensais que passés son chef d'oeuvre et ses bons bien que plus oubliables « Un jour à New York », « Charade », et « Voyage à deux » il n'y avait plus que du vide, force est de constater que je me trompais, et je suis curieux d'en savoir plus.

Je finis par me demander ce qui me retient d'y mettre un 9, tant le film fait preuve d'un équilibre savant et d'une régularité rythmique métronomique. Torpenn, vous sous-estimez ce film. Pas énormément non plus, mais selon votre barème, et au vu de l'engouement manifeste que vous avez habituellement pour ces productions, c'est bien plus qu'un malheureux 8 placé treizième dans un top 15 !

Et pour finir, envers et contre tout ils dérogeront à Bukowski :
« Maints braves hommes se sont retrouvés sous les ponts à cause d'une femme ».
Mais vous le saviez déjà.
(Merci à Bernarddeventadour pour ce rappel jamais trop précieux).

PS : Voilà, quand on me fait de (si) bonnes recommandations, il ne sera pas dit que je ne fournis pas un retour digne de ce nom. J'ai même fait un effort pour un titre de critique jouasse sans être trop mauvais.
Adobtard
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le 16 mars 2013

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