Il y a les bonnes histoires et la façon de les raconter, de leur donner vie.
Dans Les traducteurs; on ne peut pas dire que le scénario soit excellent: trop alambiqué, trop de rebondissements inutiles, trop d'esbroufe pour quelque chose qui aurait gagné à subir un petit élagage de printemps.


Même avant le montage, le fil conducteur du film est tordu, fait de boucles et de virages inutiles. Le spectateur qui tente en sortant de la salle de remettre bout à bout toute l’histoire se perd: pas parce que c’est trop élaboré et brillant mais au contraire parce que c’est trop improbable et maladroit.


Si on ne trouve pas le salut dans l’intrigue (un comble pour un film dont l'argument principal est le mystère), alors il nous faut nous contenter du reste: les protagonistes et la façon dont on amène les choses.


Comme tout bon “whodunit”, les traducteurs place des personnages facilement identifiables et tous potentiellement coupables dans un huis clos dont ne sortiront que de sordides choses.
Jusque là on connait, et on est prêt à accepter qu’il y a des passages incontournables dans le genre. On accepte des codes du genre, mais on attend de voir ce que le réalisateur va en faire, et comment il va jouer avec nos attentes.
Cette fois-ci les protagonistes représentent à la fois des traits de caractères et des nationalités. On regrettera que les spécificités de chacun ne soient pas brouillées: on essaie de dire qu’on se joue des préjugés alors que justement chacun est un cliché sur pattes. (le pompon étant d’avoir évoqué l’homosexualité du grec qui n’apporte rien à l’intrigue mais sérieusement le grec quoi!!).
Rien n’est subtil, même pas dans le jeu des acteurs qui semblent tous avoir reçu pour ordre de surjouer pour “créer une ambiance”?
Ce qui fonctionnait dans A couteaux tirés où les décors et même les costumes de chacun jouaient sur l’exagération monochrome et où tout créait une atmosphère particulière tombe ici à plat.
Ça ne prend pas parce qu’à côté de ces hommes et femmes sandwich, le film essaie de prendre pied dans la réalité: dans le monde odieux de l’édition et la défense de la petite librairie de proximité. La jonction entre les deux ambitions se fait mal, et l’ensemble est fade.


Comme est ratée la partie suspens et mystère.
Très vite dans le film, Lambert Wilson vient lui-même démonter certaines hypothèses que le spectateur avait commencé à élaborer quant à l’identité de l’auteur du livre: à ce moment là le spectateur confiant se dit que c’est bon, il a compris le message: on sait que tu te crois malin mais accroche toi à ton siège parce qu’on va te sortir du grand art.
Plutôt encourageant, et voilà les attentes vis à vis de dénouement qui montent en flèche, d’autant que la bande annonce avait déjà bien travaillé sur le même registre.


Pourtant, très vite on sent que la vague odeur qui commence à s’échapper du long métrage est aussi humide que le temps, et qu’en fait l’explosion sera aussi assourdissante que celle d’un pétard mouillé.
A aucun moment on ne comprend l’importance du livre à traduire: c’est un best seller ok, mais on nous demande de le croire sans explication, et surtout les rares extraits qu’on nous lit n’ont pas l’air bien révolutionnaires. Si le titre de la trilogie n’était pas “dédalus”, on ne serait probablement pas en train d’attendre de connaître le contenu de l’œuvre.
Du coup les mesures prises pour organiser la traduction semblent démesurées. Ou en tout cas elles nous dépassent.
C’est comme si on créait un bunker pour protéger le futur “oui-oui” parce que c’est le top vente chez les moins de 7 ans….
(pourtant à la base le pitch s’inspire d’une vraie affaire similaire….).


Le manque de retenue qui parcourt le film est dérangeant: on comprend que l’ambition derrière tout ça est grande, trop pour le produit final.
Alors le spectateur attend, en espérant que ce qu’il a pressenti ne se réalisera pas.
Et puis bingo, bien avant la fin on apprend qui est le commanditaire du chantage (bim j’avais raison), et on bascule sur le “comment?” et le “pourquoi?”.
Révéler très tôt le coupable peut en frustrer certains mais ça permet de focaliser l’attention sur le modus operandi, et ça crée un nouveau tiroir dans l’énigme.


Sauf que lorsqu’on commence à comprendre quelques éléments, ça devient encore plus la foire: parce que le moment de bravoure et de suspens qu’on nous inflige est un flash back: on sait que l’opération va réussir et on ne peut frissonner avec les personnages (par contre on peut apprécier l’inventivité du plan, tout en se disant déjà que quelque chose ne va pas).
C’est une erreur d’avoir traité la séquence de


l’échange des valises


en “temps réel”: toutes les scènes de voiture sont inutiles puisqu’on sait que l’opération va aboutir.
Il aurait été tellement plus jouissif de voir la même chose en accéléré à la manière d’un Guy Ritchie. On aurait eu moins de temps pour se dire que vraiment c’était n’importe quoi.


Que reste-t-il donc à sauver d’un film bouffi par une intrigue trop alambiquée, des personnages caricaturaux, des acteurs en surjeu et une narration chancelante?
Il reste une bande annonce qui permet de songer à ce qu’aurait pu être le film s’il avait été un peu plus sobre, il reste quelques moments pendant lesquels les acteurs se souviennent de leur boulot, quelques rebondissements qui aurait pu être bons.
Il reste l’espoir, et surtout l'envie de revoir de vrais bon films dans le même genre histoire de vérifier que c'est parfois plaisant de se laisser mener en bateau, encore plus si c'est sur le nil en compagnie d'un certain Hercule Poirot...

iori
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le 5 févr. 2020

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iori

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