Il est préférable de s'être énervé devant le film avant d'attaquer cette chronique. Si vous ne l'avez pas encore vu, lisez-là quand même, les spoilers vous feront prendre conscience qu'il n'y avait rien à voir.

Ne croyez pas que j'exagère ou que j'ai un litige juridique ou routier avec Régis Roinsard - rien que ce blaze déjà, entre Régis est un con des Nuls et Ronsard - mais sans faire de flagornerie inversée, Les Traducteurs boxe dans la même catégorie que Vidocq, La casa de papel ou Now you see me. Entendez par là qu'il incorpore avec panache la caste des films à suspens prêts absolument à tout pour berner ses spectateurs, quitte à se perdre en route et à enchaîner avec une précision mathématique les twists tirés par les cheveux.

C'est un anglais, un chinois, une portugaise, une russe etc... qui sont dans une bibliothèque.

Le lancement en grande pompe du dernier volet de la saga littéraire Dedalus, pousse une maison d'édition à renforcer son système de sécurité anti-spoiler : à savoir bunkeriser des traducteurs triés sur le volet. Malgré ces précautions extrêmes, on comprend rapidement grâce à des flash-forwards que le début du bouquin va fuiter, et par conséquent qu'une vénale petite taupe / lanceur d'alerte au choix, se trouve parmi les traducteurs. Le mystère prendra encore plus d'épaisseur avec un doute sur l'identité de cet auteur à succès.

Qui sont-ils d'ailleurs ces fameux traducteurs ? Au début on pense un peu à Union libre (enfin j'ai pensé, je veux mouiller personne avec un souvenir commun aussi honteux), l'émission à la con de Christine Bravo sur la 2 avec des chroniqueurs européens qui venaient nous expliquer à quoi ressemblaient leurs parc-mètres ou leurs boites de céréales.

Y a un espagnol, Javier (Eduardo Noriega), qui semble postuler pour incarner Alain Finkielkraut dans un biopic éponyme, une Shinead O'connor portugaise sans intérêt à part remplir le quota de nana à cheveux court dans un film, une russe (Olga Kurylenko) en robe de soirée blanche et dont l'insolente beauté est la seule raison sérieuse pour laquelle quelqu'un s'aventurerait à mettre plus d'une étoile à ce film, Alex Goodman (Alex Lawther) un anglais avec un sérieux déficit musculaire et un regard de teckel battu au profil très Kevin Spacien, un traducteur chinois (Frédéric Chau Le chinois d'Inside Jamel Comedy club) devant lequel il est impossible de garder son sérieux quand il entonne le tube d'Hal David & Burt Baccharach, un italien probablement recalé de Gomorra, un vieux professeur grec dont les traits de caractère principaux sont d'être gay et bougon, une danoise qui regrette d'avoir fait des chiards et une allemande qui regarde le grec d'un sale œil.

Au milieu de tout ce melting-pot qui nous fait douter de la pérennité de l'espace Shengen, y a bien des Français : Eric Angstrom, un Lambert Wilson pris en flagrant délit de cabotinage comme on dit sur Nanarland. Son personnage n'est pas juste un éditeur un peu casse-couille, non non, on est devant le pire éditeur de l'Histoire, un salaud du livre comme on en a jamais vu. Je soupçonne même qu'il y a plus d'humanité dans le poignet du mec qui a actionné les rotatives de Mein Kampf que dans l’œil d'Angstrom quand il rappelle à son assistante (la pauvre Sarah Giraudeau) qu'elle a un peu une vie de merde. Une comparaison excessive dont je me désolidarise illico !

La cata de papel

C'est à ce moment que l'intrigue commence à vouloir surprendre ses spectateurs. Un faux suspense est disséminé afin qu'on se méfie un peu de tout le monde, même si aucun personnage n'est développé à part la russe et l'anglais. Et on comprend très vite que si l'histoire s'attarde autant sur ce petit anglais chétif, c'est pas pour rien. Et révélation : c'est un mastermind du spoil, il est à l'origine des fuites, pire il a entraîné les autres traducteurs afin de... bah on sait pas vraiment pourquoi il les a mis au parfum vu que son plan aurait pu être mené sans l'aide de personne à l'intérieur du bunker.

Mais fallait bien justifier ce casting européen. D'où la scène dans le métro, où leur aide est précieuse puisque grâce à leur action coordonnée ils parviennent à subtiliser le fameux manuscrit "Dedalus", des griffes d'Eric l'éditeur. Ce qui est particulièrement con, puisque 30 minutes plus tard on apprend que l'anglais est le véritable auteur ! (4e twist du film). Et par conséquent il organise cette opération pour rien car il sait quand même ce qu'il a écrit nom de Dieu ! Et c'est le seul moment où ils lui servent à quelque chose. Cette opération n'a donc strictement aucun sens. Un nœud de Möbius de connerie.

On pourra aussi aborder le climax de tension en plein confinement, quand  à cause des messages du maître spoiler, Lambert Wilson est au bord du nervous breakdown, et que fébrile il pointe son arme vers le Grec qui se fend de la plus belle réplique du film "butte moi enculé ça me fera des vacances" Lambert Wilson est médusé. Jusque là, il n'avait peut-être pas réalisé qu'il tournait dans un nanar, même si certaines péripéties auraient du lui mettre la puce à l'oreille. Là il est fixé.

Gogol trad

Ulcéré par autant de vilenie, Eric tire dans le bide de la russe sans que cela ne soulève la moindre désapprobation des gardes qui l'entourent (une paye est une paye !). Alex s'interpose et avoue son forfait : Oui c'est lui la taupe, mais il ne peut empêcher le divulgachage car son ordi est à Londres. Wilson tire dans l'anglais qui ne doit sa vie qu'à un Bullet Proust.

Oui vous avez bien lu, sous sa fine liquette en cuir, Alex avait les 4000 pages de la Recherche du temps perdu de Proust. On ne vante jamais assez les mérites des pavés introspectifs dans ce genre de situation tendax. Oui ça déforme la poche intérieure et écorne les bouquins, mais il s'agit d'une solution économique pour parer les balles, dont l'armée US ferait bien de s'inspirer, plutôt que de se ruiner avec des gilets par balles à 30.000 dollars pièce.

Il contacte ensuite Sarah Giraudeau, son assistante justement présente à Londres afin qu'elle s'occupe de l'ordi du jeune impudent. Et là grand moment de n'importe quoi, celui qui a ma préférence du moins, celui qui questionne le plus sur la qualité de la cocaïne entre les narines des auteurs : Rose-Marie (Sarah Giraudeau), secrétaire particulière est donc malmenée par son boss du début à la fin, si elle tient dans ce travail de l'ombre c'est uniquement parce qu'elle aime LES LIVRES - de même que la secrétaire d'un P.D.G de producteur de rillettes d'oie AIME LES RILLETTES D'OIE, sans ça elle ne pourrait pas tenir non plus. 

Une fois arrivée à l'appart d'Alex, Eric/Wilson lui cire les pompes au téléphone "bravo machine t'es super en fait, je vais te nommer directrice d'un truc, avec méga augmentation hin hin hin" et là... là elle est devant l'ordinateur d'Alex, sur le bureau bien en évidence est posé UNE PHOTO DE WILSON QUI RABROUE GIRAUDEAU. Des barres de rires évidemment devant ce plan. Les explications possibles : L'anglais a manifestement compris la nature des rapports entre les deux, il a compris que Wilson allait confier cette mission périlleuse à cette nullos de Rose-Marie tout juste bonne en temps normal à faire des expresso Lavazza, pour mettre fin à ce chantage. Il a compris que l'assistante est animée par un amour sincère des rillettes d'o... euh de la littérature, il a compris qu'elle n’exécuterait pas la basse besogne car la vision de cette photo allait lui redonner sa fierté ravalée après X années de brimades et que cela empêcherait donc de commettre le geste fatidique à l'heure d'une course contre la mort endiablée... OU alors, la photo traînait sur le bureau parce qu'il aime la regarder pour se branler un peu devant. Façon Black Mirror, série dans laquelle Alex Lawther a joué dans le dernier grand épisode en date (Shut up and dance). Il y était sobre, ici il abuse du jeu de sourcils. Je crois que l'acting azimuté de Wilson a déteint sur le malheureux.  

Le dernière demi-heure est à l'avenant. 

Que dire... c'est un genre assez casse-gueule, mais il y avait la place pour faire mieux, enfin moins grotesque. Quand on pense au fantastique Ghost writer de Polanski. Sans aller jusque là, comment expliquer que Knives out, reposant sur des mécanismes de suspense analogues (twist un brin forcé et beaucoup de personnages), réussisse son pari et s'évite une volée de bois vert ? Peut-être la qualité d'écriture... C'est déjà un pari compliqué de réussir à mettre en scène une histoire simple, mais alors se lancer dans un casse-tête absurde en compensant les faiblesses par du cabotinage et du faux suspens, cela voue le projet à l'échec. Le genre de film qui a le mérite de rehausser considérablement le travail de Christopher Nolan. Grosse envie de mettre des étoiles en plus à Inception.

Negreanu
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le 11 janv. 2024

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