sept 2012:

Ce polar paranoïaque représente assez bien le virage qu'a pris Hollywood dans les années 70, à l'image de tout le pays, avec cette défiance accrue dans les institutions politiques. Les crises politiques (Watergate et Vietnam) et économiques (chocs pétroliers, inflation, récession, chômdu) accentuent la perte de confiance dans les valeurs de la civilisation américaine. Or, ce film s'accorde de manière très précise à cet état de la société. Il s'agit de montrer que la CIA, outil gigantisé par la guerre froide, est devenue un "État dans l’État", comme il est précisément dit dans le film. La fin interroge même la validité du 4e pouvoir, du discours journalistique et des possibilités ou non de faire la vérité, de dire le vrai, dans cette société de plus en plus claquemurée dans un système mondialisé de l'information. Comme quoi, il n'a pas fallu attendre la fin de la guerre froide pour que la paranoïa sur la liberté d'expression, sur la démocratie en péril depuis l'intérieur même du système démocratique soit mis en lumière par le cinéma.

A ce titre, ce film peut se prévaloir d'être parmi les pionniers. Car effectivement, le conspirationnisme est une thématique "bonne cliente" pour le cinéma, promettant rebondissements et suspense à gogo à qui sait manier l'outil narratif avec finesse. Avec des pincettes car peut être casse-gueule.

Par certains côtés, on peut dire que Sydney Pollack n'évite pas certains écueils. La relation Redford / Dunaway n'est pas vraiment réaliste. Le basculement affectif est un peu trop expédié à mon goût et surtout sur-romantisée.

Bien entendu, les espions mettent trop de temps également à faire la part des choses entre le vrai et le faux. M'enfin, ce dernier point est difficile à éviter, si l'on veut un peu d'action et de suspense. Il faut bien que Redford soit "seul contre tous" pour justifier le message politique, "attention, on nous cache tout, on nous dit rien". Difficile aussi de ne pas se vautrer sur quelques approximations dès lors qu'on touche au conspirationnisme, concept en soi simpliste et creux.

Malgré tous ses petits défauts, "Les trois jours du condor" se laisse voir avec plaisir. Sydney Pollack sait donner à son film une belle allure : photographie luisante, montage intelligent, ombres et lumières, caméra toujours bien placée et bons acteurs donnent d'agréables sensations. Du joli travail en somme, comme d'hab. Dommage que le dvd soit aussi peu correct.

Cependant, je le répète, la lecture est plaisante, on passe un très bon moment de cinéma. De plus, j'ai toujours un certain plaisir, proche de la nostalgie, à voir des films anciens, marqués par leur époque, que ce soit dans les mentalités ou dans ses aspects proprement techniques. Télécommunication et informatique, par exemple, sentent la naphtaline et un sourire vous sera en quelque sorte garanti si vous avez la chance d'avoir connu ces objets antiques.

Pour finir, la distribution est plutôt savoureuse, mêlant acteurs chevronnés et trentenaires en pleine possession de leur art, métissage de générations réussi et jouissif.
Alligator
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le 20 avr. 2013

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