Découvrir un film culte près d'un demi-siècle après sa sortie en salle, à plus forte raison quand s'y attache une réputation vaguement sulfureuse, s'avère un exercice risqué. Que reste-t-il du film de Bertrand Blier, le parfum de scandale dissipé? Que reste-t-il des Valseuses quand le cul rebondi de Depardieu et la bite molle de son compère Dewaere ne font plus pâlir personne?
Face à ce film, ce n'est plus une jeunesse post-soixante-huitarde qui s'oppose à une France bourgeoise et conservatrice, les uns réjouis de ce vent de fraîche puanteur, les autres heurtés dans leurs valeurs et leur morale. Aujourd'hui, les escapades jambes en l'air de Jean-Claude et Pierrot n'ont à l'écran plus grand-chose de transgressif, sinon ce discours dérangeant tant il est phallo-centré.


L'entrée en matière est rude. La rencontre avec ces gaillards un peu loubards et très roublards a tout d'une friction au papier de verre. Purs produits de leur époque, ils traînent leur ennui du monde et des conventions de mauvais coups erratiques en coups de trique pas vraiment meilleurs et non moins hasardeux. Ils assoient leur liberté désenchantée en piétinant celle des autres, tirent une caisse comme ils tirent une fille: sans jamais demander ni avis ni permission, l'une et l'autre simples objets de plaisir éphémère, interchangeables et jetables.
Ces pérégrinations vers nulle-part provoquent un certain malaise. Non par excès d'érotisme ou d'exhibitionnisme, ni même vraiment par les tirades d'un Gérard qui oscille entre cru et gras. Mais parce que tout au long de cette première partie, les deux complices versent davantage dans la cruauté que dans la légèreté de mœurs.


Puis s'en vient Jeanne (Moreau) et cette histoire qui n'en est pas vraiment une prend un autre tournant, celui de raconter quelque chose. Jeanne, désespérée d'avoir vu sa vie s'écouler sans avoir pu la vivre. Elle se ravive et s'enflamme une dernière fois dans les bras d'un Jean-Claude et d'un Pierrot presque ingénus.
Puis Jeanne s'en va, dans la fulgurance d'une brève détonation, macabre écho d'une féminité qui ne semble pouvoir exister que dans le sang et la douleur.
Et avec elle, s'en va aussi un peu de leur insouciance.


Il est temps pour nos deux pendards de prendre le large. Leurs errances mènent toujours vers nulle-part, mais elles ont pris une autre direction.
Le duo se mue en trio. Le temps d'une étape salvatrice dans les bras d'un jeune maladroit déjà truand mais encore innocent, le petit démon blond au corps froid trop (dés)abusé se métamorphose en ange lumineux qui s'épanouit dans le plaisir. Les vannes s'ouvrent.
Libération.
La jalouse frustration des deux amants atteints dans leur orgueilleuse virilité ne dure qu'un temps. Car tout le monde y gagne, personnages comme spectateurs. L'escapade champêtre reprend et Blier, enfin, distille un peu de chaleur dans la mécanique des coups de reins, allume un peu de passion dans ces chairs qui se pressent désespérément l'une contre l'autre.


Enfin, le sexe se décomplexe, se libère, objet d'un désir joyeux et vivant et non plus contrainte. Ils s'abandonnent tout entier au plaisir, heureux de se partager dans les herbes folles aux amants de passage.
Au bout d'une heure et demie, il était temps...

Cocolicot
6
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Braquages & Arnaques en tout genre : de péripéties en calamités et Cinéphage - 2017

Créée

le 21 août 2017

Critique lue 1.9K fois

19 j'aime

10 commentaires

Cocolicot

Écrit par

Critique lue 1.9K fois

19
10

D'autres avis sur Les Valseuses

Les Valseuses
Couverdure
2

Culture du viol et écluses

J'ai été patiente avec ce film. J'ai attendu que la liberté sexuelle soit montrée sous un prisme autre que celui de l'intimidation et de la culture du viol. J'ai attendu que l'humour soit moins...

le 10 mai 2016

74 j'aime

16

Les Valseuses
Psychedeclic
5

Ca bande mou

Je vais finir par croire que j'ai un problème avec les films dits "cultes". En voici encore un encensé par la plupart des gens qui ne m'a que moyennement convaincu, même si je comprends bien pourquoi...

le 7 juin 2011

52 j'aime

3

Les Valseuses
Grard-Rocher
8

Critique de Les Valseuses par Gérard Rocher La Fête de l'Art

Jean-Claude et Pierrot sont deux petits loubards de banlieue pas trop décidés à travailler, préférant passer leur temps à terroriser, par jeu, les habitants de leur cité. Un soir, à la fermeture de...

50 j'aime

4

Du même critique

Men in Black
Cocolicot
7

Hommes en costume et aliens en costume d'homme

"Ce qu'il y a d'intéressant avec ce film, c'est quand on y réfléchit, il y a asse peu de chances pour que nous soyons seuls dans l'univers. Il y a encore moins de chances que nous soyons les plus...

le 11 nov. 2017

29 j'aime

8

Les Valseuses
Cocolicot
6

Valse en deux temps

Découvrir un film culte près d'un demi-siècle après sa sortie en salle, à plus forte raison quand s'y attache une réputation vaguement sulfureuse, s'avère un exercice risqué. Que reste-t-il du film...

le 21 août 2017

19 j'aime

10