Les visiteurs du soir s'inscrivent dans la longue liste des collaborations entre Marcel Carné et Jacques Prévert. On retrouve des immenses acteurs de l'époque, Arletty, Jules Berry, Marcel Herrand, Fernand Ledoux… et un des premières apparitions de Simone Signoret en tant que figurante ! Les thèmes de l’amour, des faux-semblant et de la manipulation sont au cœur de ce fabliau médiéval mystérieux. Tous les ingrédients sont réunis pour aboutir à un film grandiose. Toutefois, on n’atteint pas les sommets de maestria des Enfants du Paradis, du Quai des Brumes ou de Hôtel du Nord.
Les décors et les costumes ont mal vieilli et frisent parfois le kitsch… mais quand on connaît le contexte de tournage en 1942, on ne peut que s’incliner devant l’ambition et le travail magistral de l’équipe de tournage. Quoiqu’il en soit, la caméra de Carné sublime ces décors de carton-pâte par de superbes jeux d’ombres et lumières, si caractéristiques du réalisme poétique. Les plans sont élégants, la lumière délicieusement utilisée, les mouvements de caméra audacieux.
Le point faible des Visiteurs du Soir, c’est au niveau du jeu d’acteur. Alain Cuny, mystérieux et ambigu au début du film, sombre dans le mielleux sur la fin, bêlant de façon insupportable des « Aaaanne !!! » à tout bout de champs. Marie Déa manque de conviction. Quant à Arletty ont l’a connue plus charismatique, même si elle nous régale de ses petits airs cruels et manipulateurs. C’est finalement Jules Berry qui nous en donne le plus pour notre argent (dont il manquait cruellement à l’époque, amateur de jeu qu’il était). Le diable qu’il incarne est tout en excès, charmeur, manipulateur, cruel et impitoyable. Et même s’il sur-joue clairement le personnage, on lui est redevable de venir mettre de la vie et du charisme au milieu de cette cohorte de personnages qui nous plonge lentement dans une torpeur médiévale… La faute peut-être aux dialogues de Prévert, moins percutants et plus répétitifs qu’à l’accoutumée, même si se dessinent déjà les thèmes et les tirades des Enfants du Paradis, qui sortira trois ans plus tard.
Quoiqu’il en soit, cette fable sur l’amour triomphant des faux-semblant et de la trahison (certains y verront une métaphore de la résistance), nous offre quelques très belles scènes et répliques mémorables. Une œuvre mystérieuse et poétique, qui pose les jalons de ce que beaucoup considèrent comme la plus belle œuvre de Carné (moi le premier) : Les Enfants du Paradis.