Deux axes majeurs nourrissent la poétique désenchantée des Vitelloni : la jeunesse, et le tempérament italien : deux éléments synonymes de fougue, d’exubérance et de débordement vital, et que Fellini va passer au crible d’un regard lucide, acide et sans concession.


Le groupe d’amis est en terrain conquis : la ville est leur territoire, la rue leur champ de bataille : délestés de toute forme de responsabilité, les immatures déambulent, ponctuent leur ennui de beuveries et de blagues potaches, confondant le parcours initiatique avec l’affirmation chaque jour grandissante de leur machisme.


Fellini joue dès à présent de ce point de vue qu’on retrouvera dans toute son esthétique, oscillant entre l’immersion et la distance. La voix off d’un des personnages, Moraldo, double masqué du cinéaste, indique d’emblée un recul, voire une réflexion sur la vanité de cette vie au jour le jour, et la disposition dans l’espace laisse à plusieurs reprises surgir une angoisse sourde : disséminés dans le décor comme des statues, les individus peinent à conquérir les lieux, et se retrouvent à fantasmer silencieusement un ailleurs, le regard vide sur une plage d’hiver.


La maturité elle-même se confond, de leur point de vue, à l’enfermement qui plus est dans un magasin de bondieuseries, où l’un des personnages principaux se regarde cloîtré dans un miroir avant d’être contemplé à travers la vitrine par ses comparses encore libres.


Les seules voies de la liberté résident ainsi dans la fuite, mais celle-ci est toujours illusoire : c’est cette façon de tourner en rond dans un bal décadent, dont l’ascension ultime consiste à s’enfermer dans les combles pour fricoter comme des adolescents. Seul Moraldo, dans un très beau plan final, osera prendre le train, affirmant plus encore ses liens avec Fellini qui quitta sa Rimini natale pour Rome.


On ne peut même pas véritablement parler de tendresse pour cette jeunesse un peu stupide. Le personnage de Fausto (très joliment servi par Franco Fabrizi qu’on retrouvera aussi dans un rôle tout aussi détestable dans Il Bidone) est veule, libidineux et voleur, et son accession à la maturité par le mariage et la vie professionnelle se présente comme une série d’épreuves pour lesquelles il échoue toujours sur le plan moral. La bouffonnerie à laquelle il aboutit en tentant de revendre une statue d’ange dans des lieux saints en dit long sur son caractère. C’est aussi l’occasion pour le cinéaste de mettre en place quelques images insolites et poétiques, comme celle d’un prêtre perché sur arbre, et qui annoncent l’esthétique à venir du maestro.


Si le récit accuse quelques longueurs et s’étiole dans un dénouement fondé sur une rédemption un brin plaquée, sa force réside dans son esthétique des lieux et la sincérité touchante de quelques personnages secondaires. On pense bien entendu à cet enfant cheminot, croisé dans la rue alors qu’il s’apprête à travailler, repère incongru d’une maturité fondée sur la nécessité et l’innocence mêlée ; un personnage qui annonce en tout point la très jeune serveuse, petit ange rédempteur de La Dolce Vita.


https://www.senscritique.com/liste/Cycle_Fellini/1804365

Sergent_Pepper
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le 3 sept. 2017

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