C'est cool, les festivals de cinéma de province. Celui d'Arras, par exemple, avec sa programmation un brin rétro. Et l'on se rend compte que découvrir des vieux films sur grand écran, cela n'a pas de prix. Tout en permettant de mettre en perspective l'évolution du média cinéma et des genres qui l'irriguent.


Cela permet de mesurer aussi à quels points certains ressorts utilisés ont pu changer. Car avec Les Yeux sans Visage, ce qui aurait immanquablement tourné au festival d'effets chocs aujourd'hui, joue, en 1960, sur une ambiance étrange, suggestive et multiple. Il y a d'abord ce quotidien réel et palpable, pour mieux en sonder la monstruosité, nimbé de désespoir, succédant à une séquence inaugurale tout droit tirée d'un film noir.


Il est rapidement question dans ce quotidien de médecine, prétexte à verser le duo classique du fantastique du savant fou et de sa créature. Qui prend pour visage l'amour flippant d'un père pour sa fille. Un père en quête d'un rachat illusoire, qui a pour ambition impossible de réparer les vivants en dévoyant la science dans ses excès les plus condamnables.


Leur mise en scène placide et chirurgicale rappelle au spectateur le passé de documentariste du réalisateur Georges Franju, qui ne verse ainsi jamais dans l'imagerie outrageusement démonstrative. La précision mise en oeuvre à cette occasion anime de la même manière les plans plus classiques : il n'y a qu'à se souvenir du frisson éprouvé à l'occasion d'une visite nocturne dans un cimetière, interrompu par le passage inquisiteur d'un avion, pour se dire à quel point le réalisateur se montre sincère dans sa démarche. La suggestion est son atout maître pour distiller la tension et l'inquiétude portant à son paroxysme des scènes de chasse et de prédation des futures victimes qui seront offertes à la caméra.


Il faudra ajouter à cet ensemble déjà riche une photographie parfois glaçante, ou encore un aspect policier servant de liant tout en ancrant définitivement l'aspect réaliste de l'oeuvre pour se dire que celle-ci laisse en mémoire une vision désespérée de l'humanité et de ce qui l'anime.


Et puis, il y a Edith Scob : créature asservie mais gracile avec ses allures d'oiseau blessé, elle irradie l'écran à chacune de ses apparitions, et dont les yeux transperce le masque sans expression qu'elle enfile. C'est elle qui apporte une part non négligeable de la fascination que suscite Les Yeux sans Visage, tout comme cette folie meurtrière dessinée avec panache et ce sens de l'onirisme typiquement européen.


Les Yeux sans Visage, d'abord considéré comme mineur, est depuis tombé dans le domaine public de la réussite du fantastique. Rien d'étonnant à cela au final : tant il se montre tour à tour dérangeant, gracieux, transgressif mais toujours virtuose dans son approche du mal. Et le fait qu'il constitue une sacrée réussite de l'incursion made in France dans ce genre le rend d'autant plus précieux.


Behind_the_Mask, qui fait joujou avec son bistouri.

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le 9 nov. 2019

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