Je connaissais vaguement l'histoire de ce couple de vedettes du cinoche sud-coréen kidnappé par Kim Jong-Il pour son seul plaisir cinéphile. J'étais donc assez curieux de découvrir ce documentaire et en apprendre un peu plus avant de lire le bouquin consacré au sujet également. Eh ben franchement, c'était pas top. Pour une raison assez simple je pense : les cinéastes semblent se contenter d'un p*** de pitch de départ et ne pas chercher plus loin.


Recontextualisons le schmilblick : une actrice star et un réalisateur acclamé (mais fauché) vivent une idylle avant de se séparer. C'est précisément à ce moment que l'actrice est enlevée et emmenée en Corée du Nord, où elle sert de potiche culturelle à Kim Jong-Il, aussi tordu que sensible apparemment. Son déjà ex-mari part à sa recherche avant, lui aussi, de disparaître. Réunis après 5 ans de captivité, le couple va tourner plus de 17 films en deux ans avant de fuir vers les USA... L'histoire est rocambolesque, surréaliste, digne des grands thrillers : des agents nord-coréens infiltrés dans l'industrie cinématographique sud-coréenne, un point de départ à Hong Kong, des enregistrements secrets, un dictateur assoiffé de reconnaissance et domination mondiale, des critiques cinéma qui trimballent des documents secrets, une évasion d'un hôtel de luxe à Vienne... Mis en fiction, le tout serait trop gros pour passer, d'où la terrible puissance du documentaire quand on sait que tout cela est arrivé.


Le problème ? Jamais ces éléments, et d'autres encore plus passionnants, ne sont totalement exploités, creusés, soignés. Tout le toutim est expédié, entrecoupé de moments un peu fades, sans inspiration. La réalisation, plus que le montage, est un gros problème, et cela pour deux raisons. La première, les reconstitutions : à trop vouloir "faire époque" en filmant des scènes en Super 8 dégueulasse, la frontière se trouble avec les vraies images de l'époque (films et reportages) et l'ensemble se trouve déforcé alors qu'il s'agit d'images authentiques précieuses, rares, riches. Ensuite, une grande partie du film repose sur les enregistrements sonores faits par le couple à l'époque, documents ultra importants... illustrés par un dictaphone qui tourne, filmé dans l'obscurité, effet thriller oblige. Si l'effet passe très bien dans le twist final de Thin Blue Line d'Errol Morris, il perd peu à peu de sa puissance là aussi à force d'être répété, peu varié, jusqu'à ralentir le rythme déjà lent du film.


Mais ce qui m'a vraiment déçu, c'est de voir le film rester en surface du sujet qu'il aborde. J'ignore s'il s'agit d'un choix volontaire des réalisateurs ou si cela s'est imposé naturellement avec les interviews, mais nombre de pistes intéressantes sont abordées sans jamais être creusées. Le réalisateur Shin a-t-il vraiment été capturé ou s'est-il volontairement rendu en Corée du Nord ? Souhait-il vraiment s'évader ou était-il heureux d'avoir enfin les budgets qu'il désirait ardemment pour ses films, fussent-ils de propagande ? Et Kim Jong-Il, que cachait réellement ce désir de créer une industrie cinématographique nord-coréenne capable d'aller en festivals internationaux ? En fait, le souci du film est de devenir un exposé d'éléments factuels, passant à côté de son véritable sujet profond : la face sombre des hommes peut les amener à faire des choses insoupçonnables. La séquence pré-générique de fin me fait douter du choix des réalisateurs, appuyant lourdement sur la folie de la famille Kim en Corée du Nord alors que, une demi-heure plus tôt, Kim Jong-Il était présenté comme un enfant malheureux car solitaire.


Les amants et le dictateur est un parfait exemple de l'importance, dans un documentaire, d'associer fond et forme et de creuser le plus loin possible son sujet, au risque de se tirer une balle dans le pied de manière irrémédiable.


Il ne me reste qu'à lire le livre et à imaginer le film que cette histoire aurait pu donner en d'autres mains.

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le 16 déc. 2018

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