Ivo M. Ferreira nous plonge avec LETTRES DE LA GUERRE dans la guerre de décolonisation entre l’Angola et le Portugal, qui a fait basculer la vie de l’écrivain António Lobo Antunes.


LETTRES DE LA GUERRE fait partie de ces films qui marquent un être à tout jamais. Son propos, son intensité, sa poésie, son humanité, son esthétique et son interprétation hantent le spectateur longtemps encore après sa vision ! Le film du réalisateur Ivo M.Ferreira évoque ainsi la fin d’une époque, celle de l’empire colonial portugais et la guerre d’indépendance en Angola, qui a duré près de quinze ans.


L’intrigue se situe pendant les deux dernières années de cette guerre, entre 1971 et 1973, et c’est au travers l’expérience et le regard d’un jeune médecin soldat envoyé en Angola que le spectateur est propulsé vers l’indicible. Ce jeune médecin est aussi très lié à l’histoire du Portugal, puisqu’il s’agit du célèbre écrivain António Lobo Antunes, encore en vie, dont les lettres publiées il y une dizaine d’années, ont inspiré le réalisateur. LETTRES DE LA GUERRE raconte très bien les conséquences de cette sale guerre sur l’écrivain : elle a profondément changé sa vie et fait naître en lui une réelle conscience politique, transformant tout autant son regard sur le monde que sa littérature.


Le jeune homme a littéralement été sauvé par l’amour de sa femme et son souffle de vie transmis par ses lettres, alors que les jours passés loin d’elle et de sa famille tendaient à en effacer le souvenir. Car LETTRES DE LA GUERRE est un film intime épistolaire, dont la voix off d’António rythme les scènes de guerre quand celle de son épouse restée au pays décrit sa vie quotidienne et son amour pour lui. Le réalisateur retranscrit parfaitement le décalage vécu entre les deux. Les choix esthétiques de mise en scène du réalisateur appuient intelligemment cette dichotomie, même si l’impression de voir en parallèle deux films peut paraître déroutante et demande quelque effort de concentration.


La vie racontée à travers les lettres de l’épouse évoquent en couleur le désir, la joie, l’amour. Les scènes de guerre filmées en noir et blanc suintent l’insécurité, la peur, le danger, la nuit, le froid, le doute, l’attente, le manque de sommeil, la promiscuité de la vie en caserne, la solidarité entre soldats. Les émotions à fleur de peau et le cœur en suspens, LETTRES DE LA GUERRE ne nous épargne ni les explosions, ni les opérations, ni les cris, ni les pleurs, ni la mort. Nous sommes physiquement plongés au cœur du conflit, nous sommes des soldats et vivons et ressentons comme eux leur double état d’exaltation et de confusion. En ce sens, l’ambiance, la tension, et l’angoisse des soldats rappellent celles décrites dans les récents Ni le ciel, ni la terre de Clément Cogitore ou A War de Tobias Lindholm. La rencontre d’António avec le peuple Angolais est aussi un véritable choc culturel. Il découvre un pays, qu’il apprend à l’aimer malgré la guerre.


Antonio est interprété par Miguel Nunes, rencontré lors du Festival International du Film Indépendant de Bordeaux. Le réalisateur n’a pas souhaité qu’il fasse connaissance avec l’écrivain, préférant que l’acteur compose un António selon son propre ressenti. S’inspirant de son autobiographie et de Mémoire d’Éléphant, son premier roman inspiré par la guerre, Miguel Nunes s’est dit très ému d’incarner un tel personnage. Il a aussi mené une réflexion personnelle sur sa patrie et les conséquences de cette guerre. LETTRES DE LA GUERRE a d’ailleurs été tourné en Angola, ce qui a eu une résonance symbolique forte pour le jeune acteur, dont le propre grand-père paternel a vécu en Angola.


Miguel Nunes livre une poignante interprétation tout en sensibilité, qui suscite immédiatement l’empathie. Dès le début, le spectateur est aux côtés d’un António amoureux, qui découvre la souffrance, réfléchit et doute. Grâce à la version originale en langue lusophone qui permet une immersion totale, LETTRES DE LA GUERRE est une œuvre historique et intimiste bouleversante d’humanité, qui décrit magnifiquement l’évolution d’un homme ébranlé par la guerre et qui déclenche aussi l’envie d’en savoir plus sur cette période comme sur António Lobo Antunes.


Par Sylvie-Noëlle pour Le Blog du Cinéma

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le 20 avr. 2017

Critique lue 288 fois

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