On ne compte plus les films de monstres qui ont surfé sur le succès et la réussite d'Alien en 1979 et n'ont fait ensuite qu'en recycler bêtement la mécanique de film de couloirs. La plupart de ces péloches sont restées prisonnières du postulat de leur modèle, lequel empruntait déjà ses composantes à d'autres oeuvres antérieures (La faune de l'espace, The Terror from beyond space, La planète des vampires). En 1982, John Carpenter réalisait pourtant le film d'envahisseur ultime avec The Thing, avec l'accueil mitigé que l'on sait et sa revalorisation progressive au fil des années. En 1986, James Cameron réalisait Aliens, une géniale variation guerrière du film de monstre extra-terrestre qui traumatisa des générations entières de spectateurs. En 1989, le frangin de Dino DeLaurentiis, Luigi de Laurentiis, jusque-là cantonné à la production de comédies italiennes, tentait de marcher sur les plates-bandes de son frère en se lançant à son tour dans la production internationale de cinéma de genre. Avec son fils Aurélio (avec qui il a produit une floppée de péloches italiennes) et le concours financier de la Metro Goldwin Mayer, il décidait de surfer sur la vague du film de monstres extra-terrestres en produisant son propre film de SF horrifique. La stratégie était simple : engager un réalisateur à succès, et si possible européen (le grec George Pan Cosmatos, qui venait de cartonner avec ses deux nanars stalloniens Rambo 2 et Cobra), caster quelques acteurs remarqués du moment (Peter "Robocop" Weller, Richard "Rambo" Crenna, Ernie "Ghostbusters" Hudson, Hector "Pretty Woman" Elizondo) et recycler les meilleurs éléments d'Alien et de The Thing. Le film se déroulant principalement dans les grands fonds marins, le titre empruntera au nom d'un monstre biblique censé provenir des océans. Seul petit problème : Sean S. Cunningham, le réalisateur de Vendredi 13 était déjà en train de faire son propre Alien des profondeurs, le très bof Deep Star 6. Et James Cameron préparait depuis plus d'un an pour la Fox un film de SF prenant lui aussi pour cadre une station de forage sous-marine. L'année 89 vit ainsi sortir en salles trois films de SF se déroulant dans les profondeurs océaniques.


Leviathan prend donc pour cadre la mine numéro 7, une station de forage immergée à plus de 3500 mètres de profondeurs au large de la Floride. Occupée à étudier la croute océanique, l'équipe de géologues et de mineurs dirigée par Steven Beck (Peter Weller) découvre un jour l'épave d'un submersible russe, le fameux Leviathan, disparu en mer depuis plusieurs années. A son bord, ils ne trouvent aucune trace de l'équipage et ne ramènent avec eux que quelques babioles dont une bouteille de vodka. Désireux de s'en jeter une derrière la cravate, le bien nommé Sixpack (Daniel Stern) a aussitôt l'idée géniale de se garder pour lui une fiole de vodka et de se la litrer sans savoir ce qu'elle contient vraiment. Après quelques heures passées à appeler Raoul à l'infirmerie, le soiffard décède et mute en une créature aussi agressive que polymorphe, bien décidée à copiner avec les autres membres de la station.


Distribué en mars 1989, Leviathan a donc tout du plagiat assumé d'Alien et The Thing, à ceci près que rien ne nous est dit des origines de la créature, lovecraftienne par essence car indicible, tentaculaire et issue des océans. L'idée étant ici de créer une menace monstrueuse et protéiforme qui, tout comme la créature de Carpenter, contamine et assimile plusieurs membres d'une station isolée du restant de l'humanité. Avec bien sûr le risque que cette créature n'atteigne un jour la civilisation. Le film ne cesse surtout de piller le chef d'oeuvre de Ridley Scott : description du quotidien de l'équipage, exploration en scaphandres d'une épave, comiques de service, toubib antipathique, méchante représentante d'une Compagnie cupide, tout est là. Bref, absolument rien de nouveau dans le script écrit par David Webb People et Jeb Stuart, pourtant deux scénaristes de talent (Peoples est l'auteur du script de Blade Runner et Stuart a écrit le premier traitement du script de Die Hard), si ce n'est la bêtise de la première victime de se litrer aveuglément une bouteille de vodka si suspecte que même un alcoolique au dernier degré ne voudrait pas la boire. S'ensuit un énième film de monstre de couloirs, alourdi par une floppée de passages attendus, de jump scares foireux et d'emprunts trop évidents aux chefs-d'oeuvre de Scott et Big John. Les relents misogynes du film ne font d'ailleurs rien pour aider l'ensemble : le lourdaud Sixpack ne cesse de harceler sexuellement ses collègues féminines tandis que la patronne de la Compagnie, elle, n'a rien d'un modèle d'intégrité. Le film se terminera d'ailleurs sur le "héros" collant un pin dans la gueule de son employeuse.


Le gros problème du film, outre son script douteux, réside dans la direction donnée par le réalisateur. Ce qui aurait pu être un minimum flippant sous la caméra de n'importe quel bon cinéaste du genre, devient parfois involontairement comique sous l'objectif de Cosmatos. D'autant plus qu'il n'est pas aidé par le score de Jerry Goldsmith qui, loin de son formidable travail sur Alien, composait ici une partition grotesque et étrangement atonale. La mise en scène, assez fonctionnelle, souffre parfois de séquences bâclées, semblant avoir été montées à la truelle (voir le bazardage du dernier acte). S'inspirant des leçons de Spielberg (Jaws) et Scott (Alien) sans jamais vouloir en comprendre le génie, le réalisateur fragmente les mutations horribles et les apparitions de son monstre jusqu'à en révéler timidement l'aspect grotesque dans un climax tellement expédié qu'il en devient parodique (la punchline finale de Weller "Say ah motherfucker !" appelle un second degré ravageur). En fait, seul le travail du légendaire chef décorateur Ron Cobb rattrape un peu les pots cassés, le papa du Nostromo réussissant ici à concevoir des décors presque aussi impressionnants que ceux qu'il avait élaboré sur Alien. Les effets spéciaux animatroniques et maquillages eux, sont de qualité variable, parfois impressionnants, souvent bâclés. Les maquilleurs et techniciens du film avaient beau être supervisés par Stan Winston, ils n'avaient visiblement pas le quart du talent de Rob Bottin sur The Thing et ne font d'ailleurs qu'en pomper tout le travail. Ce qui n'empêcha pas Leviathan d'être nommé au festival d'Avoriaz 1990 pour la "qualité" de ses effets spéciaux. Depuis lors, le film a coulé dans les limbes du nanar. On se souviendra surtout de la très belle affiche qui avait pour elle à l'époque de laisser croire qu'il s'agissait là d'un grand film d'horreur dans les profondeurs.

Buddy_Noone
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le 25 oct. 2020

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