Faut resituer le contexte, le mettre à plat et le poser là, parce que c’est lourd à assumer un machin pareil. Tu l’assumes à fond, bien sûr, mais faut resituer pour expliquer ce "à fond" balancé comme un truisme quasi cosmique. Ouais, cosmique. Donc t’avais quoi, quinze seize ans à l’époque, perdu en province avec des boutons sur la gueule, et à l’époque t’avais que dalle, pas Internet, pas la téléréalité, pas de clips salaces, pas de YouTube, pas de YouPorn, pas de portable, rien. Donc le cul, le désir et l’amour, les relations entre personnes consentantes et tout ça, ça se limitait aux catalogues La Redoute, les revues girly de ta sœur et un manuel sur la sexualité cachée dans la bibliothèque de tes parents avec des coupes transversales d’organes génitaux. Bonjour l’angoisse.


Donc un jour tu tombes sur la VHS de Liaison fatale qui traîne à côté du magnétoscope. C’est un film d’adultes qui parlent de trucs d’adultes que tu ne comprends pas (puisque tu n’es pas encore adulte), et tout ce dont tu en retiendras, ce sont les deux scènes "chaudes" (la première dans un évier, la seconde dans un ascenseur), l’affrontement physique et psychologique entre Dan et Alex, et le final sanglant dans la salle de bains quelque part entre Psychose et Les diaboliques. Et puis Glenn Close aussi, vachement Glenn Close, divine et inquiétante en femme fatale maladivement amoureuse (et merveilleusement doublée par Évelyn Séléna dont la voix suave et ensorcelante restera, pour longtemps, l’une des plus inoubliables).


Évidemment, t’étais trop jeune pour appréhender le côté un brin excessif de la chose : monsieur trompe madame, puni de fait pour son écart en tombant sur une hyper caractérielle fan de Madame Butterfly et de robes à épaulettes. Avec le recul, avec l’âge et la sagesse, tu réalises aujourd’hui que le film ne se voulait pas si puritain que ça. Pas autant qu’on a bien voulu l’affirmer ou le croire. La fin originelle, rejetée par la Paramount qui souhaitait une conclusion plus agressive (et plus convenue) pour la briseuse de ménage (quand même 7e au classement des plus grands méchants de l’histoire du cinéma : on ne plaisante pas avec l’adultère), perçue alors comme une folle meurtrière (et tuée par l’épouse légitime, cela va de soi), souligne davantage l’aspect tragique et désespéré d’une histoire d’un soir exprimant toute la complexité et la brutalité des sentiments amoureux (Alex, avide d’affection et de vie à deux, finit seule puis se suicide, en un écho funeste à l’héroïne de Puccini).


Plutôt qu’un simple cocufiage qui tourne mal et aurait valeur d’exhortation morale auprès de ces messieurs mariés et pères de famille, Liaison fatale évoque surtout, sous ses airs de psychodrame réac, une passion violente entre deux êtres (un homme qui découche sans réel embarras ni remords, et une femme libre mais prisonnière de ses envies) qui s’opposent, sans cesse et sur tout, plus qu’ils ne s’attirent. On connaît la chanson : post coitum, animal triste (voire occis, ou bouilli à la casserole). L’interprétation magistrale de Glenn Close et de Michael Douglas, parfait en mari banal un peu beauf, un peu lâche sur les bords, coincé dans sa petite logique de petit bonheur conjugal avec femme, enfant, chien et jolie maison en banlieue dont il ne veut (ne peut ?) se défaire, offre aux personnages, de base très conventionnels (le mari, la femme et la maîtresse), une profondeur inattendue, voire inespérée (Anne Archer s’en sort très bien elle aussi dans le rôle, ingrat, de l’épouse bafouée).


Le style d’Adrian Lyne, parangon ultime de l’ère clinquante des années 80 (que l’on retrouvait alors chez Ridley et Tony Scott, Alan Parker ou même le Michael Mann des débuts…), impose au film un esthétisme suranné qui fait pourtant tout son charme (superbe photographie d’Howard Atherton, musique impeccable de Maurice Jarre). Le film a ouvert, malgré lui, la voie au sexy thriller qui trouvera son apogée avec Basic instinct en 1992 (toujours avec Michael Douglas, aux prises cette fois-ci avec Sharon Stone et son célèbre pic à glace), et reste aujourd’hui encore un classique trop facilement rejeté dont l’attrait, gentiment sulfureux, continue à faire son petit effet à l’heure même des applications de drague et de relations extraconjugales.


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mymp
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le 15 juin 2016

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