Voir Liberté de Tony Gatlif, à peine 48h après La Rafle ne se fait clairement pas en faveur du film de Rose Bosch.
Le film de Gatlif est même une rude "taloche" dans la tronche de ce film tant il réussi à se montrer léger là où l'autre marche à très gros sabots, à être bouleversant par la simple force de sa mise en scène sans jamais prendre son spectateur en otage d'une émotion forcée.
On y pleure parfois à chaudes larmes sans même très bien comprendre pourquoi, par la simple force d'une phrase ("Merci, Dieu, je veux bien manger ta merde" !), d'un plan sublime sur un paysage ou un visage, d'une caméra filant à la vitesse de la lumière à travers les branches des arbres comme dirigée par magie ou par les acrobaties folles furieuses d'un comédien habité...
Personnellement, je n'ai pas arrêté d'être cueilli par surprise par une émotion venue de je ne sais où et de fondre en larme sans toujours savoir bien pourquoi... Tony Gatlif est un sorcier, je vous dis !

Voila un film qui possède une grâce et un talent incontestables et qui se montre aussi essentiel que La rafle à un devoir de mémoire sans jamais en avoir cette volonté didactique et encore moins pédagogique et sans être jamais lourdement démonstratif.
L'Education Nationale, avec la subtilité qui la caractérise à choisi de soutenir Rose Bosch... Elle eut été bien mieux inspirée d'offrir ce petit bijou aux élèves plutôt que l'autre "purge"...

L'histoire est d'ailleurs assez proche, au détail près qu'elle raconte l'épuration ethnique dont ont été victimes les tziganes (comme les juifs) durant la seconde guerre mondiale et la complicité active de la France dans leur déportation vers les camps de la mort...

Mais sinon, l'histoire est également celle d'une famille au prise avec cette infamie et des français qui choisiront le camp des justes ou des collabos, dans une époque où la barbarie s'était érigée en utopie.

Tony Gatlif avec le lyrisme et le gout pour un cinéma du mouvement perpétuel, qu'on lui connait, signe là une de ses œuvres les plus inspirées et les plus magiques, au sens propre comme au figuré.
Il parvient comme personne ne l'a jamais fait (à part peut-être Kusturica...) à dépeindre le peuple bohémien dans toutes ses éclatantes couleurs, saisissant la beauté et la poésie de leurs mots, la sauvagerie magnifique de leur attitudes, leur douce folie et leur belle sagesse. Il parvient à les montrer incroyablement terriens mais parfois sublimement aériens, à filmer leurs rituels avec respect sans jamais tomber ni dans le folklorique ni dans une béate contemplation idiote.

Il filme la France de Vichy et la campagne avec une justesse incroyable, le film ne daube jamais la vieille reconstitution naphtaline mais ressemble plutôt à une étonnante téléportation dans cette époque tant il sent l'herbe fraiche, le crottin de cheval, le lard, la sueur autant que le bois, la craie ou l'encaustique.

Les personnages de "Gadje" sont tous merveilleusement écrits et interprétés. L'institutrice est dépeinte comme une petit main de la résistance ordinaire et jamais comme une héroïne hors norme (Marie-José Croze, toujours aussi belle et au jeu d'une subtilité rare), le maire et vétérinaire du village, est un pur terrien et Marc Lavoine lui apporte une vraie crédibilité et un beau charisme qui respire une intelligence pragmatique. Il est magnifique dans ce film et il impose un vrai respect en tant qu'acteur et confère une vraie autorité à son personnage.

Quand aux tziganes, ils sont tous merveilleux... Peut-être un peu trop sublimement beaux, mais bon... on ne va pas s'en plaindre et surtout tous justes, y compris les enfants.

Concernant les enfants, P'tit Claude, excellemment interprété par Matthias Laliberté (ça ne s'invente pas !) donnerait bien du grain à moudre à ceux qui, comme moi, trouve que le casting et la direction de petits singes savants de Rose Bosch laisse vivement à désirer. Gatlif a un incroyable pouvoir de filmer les enfants sans que jamais, à aucun moment même pas l'espace d'une seconde, on ne doute de leur sincérité.
C'est un talent rare et cher qui fera bien des jaloux !

Et puis il y a "Taloche", ce beau personnage d'idiot magnifique, de pur sang sauvage et d'homme-enfant indomptable et incroyablement attachant. Ce personnage détonnant et inoubliable est porté par un comédien vraiment hors norme, qui vaudrait à lui seul qu'on se déplace pour voir le film même si celui ci était moins bon (ce qui n'est pas le cas !). Un acteur que je ne connaissais pas (Honte sur moi mais je vais m'empresser de rattraper ça !) et qui offre une performance aussi époustouflante que totalement inédite: James Thiérrée, accessoirement petit fils de Charlie Chaplin et surtout portrait craché de sa grand mère Oona. Il démontre un talent immense dans un rôle multiple et difficile qu'il rend inoubliable.

Bref, vous l'aurez compris, toutes ces dithyrambes confirment qu'incontestablement pour moi - et de très loin - Liberté de Tony Gatlif est LE plus beau film que j'ai vu en ce début d'année, celui qui m'a le plus étonné, séduit, ému et qui n'a pas fini de me hanter comme les fantômes dont il est peuplé.

Chapeau !
Foxart
9
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le 9 août 2014

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Foxart

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