Life May Be
Life May Be

Documentaire de Mania Akbari et Mark Cousins (2014)

Que raconte le corps humain sur les rapports complexes entre L'Orient et L'Occident? Faut il qu'il soit objet de sacre et de désir pour en révéler son langage inconscient? C'est ce que se demande Mania Akbari dans son bel essai théorique, construit en collaboration avec le journaliste et cinéaste Mark Cousins. Actrice et proche de feu Kiarostami, elle connait très bien les dispositifs formels de son père spirituel et tente de reprendre le flambeau, à sa manière. Il ne sera pas question ici d'enfermement dans une voiture, procédé qui servait chez le réalisateur perse à raconter l'emmurement et l'affliction de son Iran natal. C'est un échange épistolaire par lettres et films abstraits qui constitue le fil rouge d'un documentaire, fort pertinent lorsqu'il dévoile patiemment son intérêt au long de 70 premières minutes. Un peu moins lorsqu'il lui prend l'envie de libérer son oeuvre par une approche "Malickienne" sur la vie et sa beauté, la mort et sa nécessité en 10 dernières minutes dommageables.


Elles ne peuvent néanmoins rien contre l'intelligence de la réflexion et la grande utilité d'une telle démarche. La liberté à L'Ouest du Levant nous définit comme une démocratie de laquelle nous jouissons de droits fondamentaux inviolables, mais ce qu'elle insinue de plus sournois sur nos modes de vies n'est pas des plus réjouissant. L'enveloppe charnelle équivaut alors à une marchandise ambulante dont notre société de consommation se repaît. Elle dit la vacuité d'une civilisation qui s’enchaîne toute seule aux apparences, signe peut être d'un certain déclin. La tradition Perse, qui partage certaines occurrences avec le Moyen-Orient, n'en est pourtant pas le reflet. L’iranienne tient à le rappeler, désolée de cette erreur courante. Parcourant le globe à la recherche de son histoire personnelle, son escale à Dubaï pour rejoindre son amie exilée lui en fait prendre pleinement conscience. Les pétrodollars émiratis ont selon elle transformés cette région du monde en gargantuesque modèle économique à l'européenne, faisait fi de sa riche culture d'antan.


Pas question pour autant d'encenser le pays de Ayatollahs et des Shahs, ou l'intimité corporelle est synonyme de fruit défendu. Les femmes en sont évidements les premières et principales victimes, comme toujours en pareil cas. Les peintures et textes religieux, D'Ispahan l'ancienne à Téhéran la nouvelle citadine, ne l'instituaient t'ils pas aux siècles derniers en voilant ces mères et filles pécheresses par essence? Paradoxal pour une culture ayant longtemps prônée L'Amour et le charnel comme réceptacle de l'équité sociale. Des tableaux nous prouvent l’ambiguïté morale du transhumanisme physique en confondant l'homme et la femme en une seule et même entité physiologique. Qu'advient il alors du déterminisme michrosomiale , ce bagage physique que l'on porte comme une identité figée? Qu'interdire aux uns et autres lorsque la certitude de notre fichier génétique brouille la notion de genre? En se réappropriant la langue de Virginia Woolf, Mania Akbari inscrit publiquement dans sa chaire l'injustice du paternalisme.


Elle personnifie également les bâtiments religieux comme autant de formes sensuelles dont la pudeur ne cacherait rien de l'interdit religieux, merveilleux passage du documentaire. La cavalière qu'on aperçoit brièvement est un autre symbole de cette dualité iranienne, femme camouflée indisposée de son charme chevauchant la bête sauvage et éternellement libre. Il faudrait aussi parler du britannique qui, en revisitant les origines du catholicisme et du protestantisme, dévoile un aspect sombre de nos prétendues modernités. Pour se rappeler que l'impureté, cette maladie nationaliste, nettoya en son temps bien des âmes jugées incompatibles avec la stature rigoriste des dominants. Fanfaronnant nu depuis son hôtel lituanien, il sublime la nudité comme seule vérité inébranlable de l’être humain. Posture certes facile et agaçante, mais qui prend pleinement son sens lorsque sa comparse se remet de ses voyages suédois et danois pour révéler sa solitude londonienne.


Nul besoin de parole, la blessure corporelle se substitue parfaitement aux mots. Il faudrait plus de place pour relier d'autres indices, concluons alors que la radicalité minimaliste de l'objet n'est au premier abord pas des plus séduisants mais qu'il saura toucher quiconque se laisserait prendre au jeu.

Créée

le 7 oct. 2016

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