Spoilers


Quand j’étais petit j’avais peur des abeilles. De toutes les sortes d’abeilles. Que ce soit celles que l’on appelle « guêpes », « frelons » ou même « bourdons ». Pour moi, c’est l’animal venimeux de la France. C’est l’animal venimeux de l’été aussi. C’était ma psychose du mois d’août.


Je crois que ce qui m’a effrayé, c’est qu’on m’a très tôt expliqué ce qu’il fallait faire quand elles s’approchent. On m’a dit avec le petit air amusé/condescendant/impatient qu’on emploie avec les enfants à qui l’on explique la peur « ne t’inquiète pas, tu n’as rien à craindre. Faut juste que t’arrêtes de bouger et que tu fermes la bouche ». Ok, je vois. Un peu comme dans Jurassic Park quoi… excellent, merci ça va beaucoup mieux.


Et puis si je ferme la bouche, y’a toujours mes trous de nez non?


Bref, je crois qu’en me parlant calmement des abeilles, mes parents m’ont juste conditionné à les redouter.


Mais avec le temps, la maturité, la trentaine, j’en suis sorti. La tête haute. Et puis voilà qu’un inconnu, un certain Espinosa, me refait le coup, dans une salle de cinéma. Par écrans interposés en plus. Sorte de Skype qui tourne mal. D’abord il me parle d’un échantillon de terre martienne qui doit arriver bientôt, un truc petit en taille mais costaud pour l’humanité. Un peu comme les abeilles. Alors moi, au cinéma, je discute pas trop. Je laisse faire en général. Mais pour le coup, quand même, intérieurement, je me dis «Ok mec. Mais juste, fais gaffe. Si tu trouves un truc petit qui bouge, évite les gestes brusques ».


Ensuite, il trouve un petit truc qui bouge. Très petit. Et il s’en occupe presque avec tendresse. Moi j’aime bien. C’est beau, c’est la vie. Il lui donne à manger. Il le fait grandir, il lui fait des câlins. Il lui donne des petits coups de tazers. Bon en vrai là, Espinosa il joue avec mes nerfs. Il est encore plus pervers que mes parents. Parce qu’avant de me mettre en garde contre les abeilles, mes parents ils en ont pas adopté une. Ils ont pas attendu qu’elle ait une chambre et une place à table pour me demander si j’étais allergique.


Mais bon, c’est pas ça qui est important. Ce qui est important, c’est la création du mythe de l’abeille. C’est comment on arrive à créer en 10,15, 20 minutes, un monstre qui nous angoisse vraiment. Un monstre dont on n’a pas seulement peur parce que ça va être violent ou parce qu’il va y avoir des jumpscares, mais bien parce que sa façon d’être, sa façon de se nourrir, sa façon de se déplacer, sont terriblement anxiogènes. Et en l’occurrence, l’idée est à la fois assez simple et vachement efficace. Il suffit que la façon de tuer du monstre soit justement sa façon d’être, sa façon de se nourrir et sa façon de se déplacer. C’est du 4 en1. Le monstre passe son temps à agripper des trucs. Il se déplace en agrippant, il se nourrit en agrippant. Et, il tue en agrippant. Franchement, les abeilles c’est pareil. Quoi qu'elles fassent tu penses à la piqûre. Leur dard fait le tiers de leur corps. Quand elles marchent sur ta peau, limite leur truc il traîne derrière. Tu sens presque l’épine qui tape de poils en poils. Et quand elles bouffent les fleurs, elles gigotent leur abdomen, comme ça, en avant, un peu comme Elvis. Du coup il y a la piquouse qui se plante à moitié dans le pistil. C’est un peu lubrique, mais c’est surtout bizarre, je sais pas. Quand je vois ça j’ai mal et j’ai peur. J’ai envie de l’écraser. (Juste envie, parce qu'en vrai je suis flexitarien)


Bref, je déteste les sales bêtes que tu sais pas si elles font un câlin, si elles se reposent, ou si elles sont en train de décider comment elles vont te bouffer. Pour moi, une des situations les plus anxiogènes du film, c’est quand Ryan Reynolds est seul dans le laboratoire, le machin autour de la jambe. Et qu’il parle avec ses copains à travers la porte vitrée, de manière tout à fait pragmatique : « bon, il est autour de la jambe. Ça sert un peu ». Je sais pas, les astronautes ils sont un peu tarés. La base du métier c’est de ne pas avoir peur. Sûrement que la question piège pour rentrer à l’école d’astronaute c’est « avez-vous peur des abeilles ? ». Et si tu dis oui tu rentres chez toi.


Mais moi, je ne suis pas astronaute. Déjà physiquement ça n’aurait pas collé je pense. Et surtout, j’ai peur des abeilles. Et perso je sais que là, Ryan, il est baisé. Je sais que quand t’as une abeille désorientée coincée dans le slip, ça craint. Espinosa il sait que je sais, et tout ce qu’il peut faire alors, c’est pousser mon anxiété au maximum en me montrant une mort qui joue sur toutes mes psychoses. Une mort où le monstre tue presque sans y penser. Il se promène sur et dedans le monsieur. Il rentre et il sort comme dans un moulin. Il le tue comme on écrase un brin d’herbe dans un parc. Simplement parce que si l’on veut rentrer chez soi, il faut qu’on passe par la pelouse. Et quand le monstre a fini de visiter Ryan, il le laisse flotter comme une bulle. Comme un cerf-volant. Un truc sans vie soumis aux lois de la physique. L'image est saisissante parce que t'a pas du toute envie de continuer à flotter comme ça quand tu seras mort. C'est un peu badant de s'imaginer que ta tête vide d'idée va passer des années et des années à se cogner aléatoirement entre le réchaud et les éprouvettes. Et que tes bras vont faire n'importe quoi sans ton autorisation, peut-être même des quenelles ou des dabs... Brrou... effroyable. Je veux dire, t'as lutté toute ta vie pour pas être un ringard, c'est dommage de commencer maintenant. Personnellement, je trouve que c'est plus apaisant de s'imaginer qu'en mourant le corps se contente de s'écraser au sol et d'y rester. Enfin bref, le monstre lui il s'en fout, et quand il voit les autres copains derrière la vitre, il décide d’aller visiter leur dedans à eux aussi.


Donc le reste du film, c’est un peu moi qui court autour de la piscine avec l’abeille qui ne veut pas me lâcher. Et c’est très bien. Le suspense n’est pas en mode élastique slip de caleçon, qu'on étire pendant des longs temps morts et qu'on relâche toutes les 10 ou 20 minutes pour claquer la fesse du spectateur maso. Une abeille qui te poursuit et qui ne te lâche pas, ça ne te laisse pas de repos. T’es en permanence aux aguets. Elle passe de personnes en personnes, elle mate un peu sur la table pour voir si y'a pas moy de boire un coca et toi t’essaies de t’organiser quand son attention semble se détourner. Y’en a qui se planquent, y’en a qui essaient de la fouetter avec un torchon, y’en qui essaient de la bloquer sous un verre… en tout cas, dès que tu fais un truc tu prends le risque qu’elle se focalise à nouveau sur toi. Et ça t’oblige à réfléchir un peu quand même, parce que tu sais que si elle a décidé de te piquer, t’auras du mal à l’éviter.


Voilà voilà: tension permanente, quasiment survival horror, des stratagèmes, des réflexions intenses pour comment qu'on va s'en sortir, comment qu'on va faire pour pas amener le truc avec nous et décimer la planète Terre... tout ça alimenté élégamment par le fait qu'ils sont astronautes, donc pas trop cons techniquement coté science et sécurité. Surtout la femme dont c'est le job et qui se retrouve directement confrontée à la cruauté d'un processus sécurité (quasi) infaillible qu'elle a elle-même créé... Beau boulot Espinosa. Et peut mieux faire pour Madame Qualité Environnement qui avait oublié de prendre un facteur décisif en compte, aka sa propre humanité.


Après, pour finir sur une petite note romantique, le truc un peu tragique dans ce film, au-delà du twist qui m'a quand même bien fait marrer, c’est que les humains, ils ont en permanence l’impression que le bidule est en lutte. Qu’il les attaque pour survivre. Mais franchement, je n’ai personnellement jamais eu l’impression qu’il était en danger. Il est juste gêné dans ces plans. Un peu ralenti quoi. Comme quand j’arrive cinq minutes en retard au super U et que je dois attendre que quelqu'un sorte pour passer discrètement par les portes automatiques. J’avais l’impression de me voir au supermarché, alternant boucherie, poissonnerie et rayons frais avant que la dernière caisse soit fermée. Comme la petite abeille qui butine de fleurs en fleurs en attendant l’automne.

Vernon79
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le 13 mai 2017

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