mai 2011:

Ach! Un autre Fassbinder qui me ravit. Il est vrai que celui-ci est d'une accès relativement aisé. L'histoire et les enjeux apparaissent très lisibles.

Et puis l'idée de faire un film autour de la chanson "Lili Marleen" dont la chanteuse va vivre les paroles d'une manière aussi dramatique et concrète, dans sa propre existence est une très belle idée. L'exercice de traduire en scénario, en une histoire qui tient en parfait équilibre, cette chanson par le biais des aléas que vit l'interprète est superbement réalisé. J'ai vraiment été impressionné par l'écriture du film. Inspiré par le récit réel de la chanteuse, Fassbinder exploite à merveille l'essentiel. Du moins est-ce le sentiment que j'éprouve, l'impression qu'il ne pouvait certainement pas en dire bien plus, qu'il était allé jusqu'au bout des personnages et de son mélodrame.

Des "Fassbinder" que j'ai vus jusqu'à aujourd'hui c'est certainement le plus sirkien dans le fond comme dans la forme. Occupons-nous d'abord de celle-ci, voulez-vous? Le travail sur les couleurs est remarquables, tout en nuances éloquentes et salue de façon plus qu'évidente celui de Russel Metty dans les films de Douglas Sirk : même exubérance traduisant les sentiments et les émotions des personnages confrontés aux déchirements, les rouges et les bleus arrosant l'écran de leurs lumières.

Je continue à m'interroger cependant sur le sens de la photographie "baveuse" sur certaines scènes et pas sur d'autres. J'ai cru un moment que le flou était réservé aux scènes pendant lesquelles le film prenait une teinte "noir" ou quand les personnages étaient confrontés au danger nazi mais d'autres scènes tout aussi tendues sont également filmées avec une image nette et tranchante.

Peut-être s'agit-il des séquences où Willie (Hanna Schygulla) vit son amour plein et démesuré? Parce que Willie baigne dans un monde bien à elle, où elle est seule, sans réellement se rendre compte de la folie ambiante, un monde où elle sourit. Ce film pour moi se résume à ce large sourire qui lui barre le visage sans cesse. Face à l'amour, comme à la barbarie, elle l'arbore, sa manière à elle d'affronter les périls. C'est une femme amoureuse. Heureuse et pleine d'aimer. Elle va survivre grâce à son amour pour Robert (Giancarlo Giannini).

La chanson "Lili Marleen" évoque le manque de l'être aimée pour le soldat parti au front. Pour Willie, cette séparation ne lui est pas aussi insupportable parce qu'elle attend avec le sourire la fin de la guerre et elle respire totalement la certitude que tout ira bien, la confiance en Robert et la force de leur amour. Willie est une femme encore un peu petite fille par certains aspects, comme beaucoup de femmes.

Fassbinder a bien su montrer les fragilités, les débordements, la fièvre, ce sourire, la puissance d'adaptation de cette femme, j'ai envie de dire qu'elle a la capacité d'absorption des chocs. Elle est capable d'étaler cette force face aux nazis. Comme chez Douglas Sirk, ce n'est pas celle que l'on croit la plus faible qui faillit face à l'adversité. Willie reste fidèle et fait montre d'une intégrité, d'une force morale peu communes contre l'Allemagne nazie alors que Robert se laisse bêtement manipulé par le racisme social de son père.

C'est lui le plus petit garçon, incapable de prendre de la hauteur devant à son père. Le retournement sirkien est tout aussi net et ajusté chez Fassbinder : même uppercut à la mâchoire du spectateur, même puissance mélodramatique.

C'est vraiment un très beau film et qui en dit encore long sur les préoccupations politiques de Fassbinder : plus social que chez Sirk, l'allemand en profite pour critiquer les cloisonnements de la société allemande. Alors que chez Sirk, l'aliénation des personnages provient avant tout des fondements familiaux et religieux du protestantisme américain, chez Fassbinder, c'est bien la lutte des classes qui se projette dans le drame des personnages.

Willie est une fille font les aspirations sont simples, vécues de façon naturelle, elle cherche à gagner sa vie et à aimer son homme. Robert est un grand bourgeois, juif, sans problème d'argent mais tourmenté dans sa chair par la situation politique allemande et également par le snobisme ainsi que l'étroitesse d'esprit de son père, soucieux de ne pas mélanger chiffons et serviettes. Quand l'appartenance à un groupe social, à une caste prévaut sur les individus... Le film dénonce très finement l'injustice et l'absurdité de tels comportements, thème qui revient souvent chez le cinéaste.
Alligator
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le 19 avr. 2013

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Alligator

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