Comment le style clinique et peu générateur d'émotions de Jessica Hausner allait-il s'acclimater dans un scénario de science-fiction, genre que la cinéaste autrichienne n'avait pas pratiqué jusqu'alors ? La réponse donnée par Little Joe surprend peu quand on a vu ses précédents films mais ce n'est pas pour autant qu'elle est dénuée d'intérêt, tout au contraire. L'histoire de ces fleurs génétiquement modifiés et de leur pouvoir sur les humains pourrait être un épisode de la Quatrième dimension et a même quelque chose à voir avec la célèbre série Les envahisseurs. L'atmosphère générale de Little Joe est très particulière, oppressante et douce à la fois, admirablement orchestrée par une mise en place visuelle très travaillée de même que le climat sonore avec sa musique dissonante et japonisante. Science sans conscience n'est que ruine de l'âme, cette citation du bon vieux Rabelais est illustrée dans le film avec un humour à froid assez monstrueux et typique de la réalisatrice (on n'ose dire à la manière autrichienne mais il ressemble à celui de Haneke ou de Seidl). Dans cette espèce de fable ou de cauchemar climatisé qu'est Little Joe, certains verront sans doute un côté grotesque et affecté mais c'est précisément ce que vise Jessica Hausner dont le cinéma est toujours dans la rupture d'équilibre et dans une ambigüité déstabilisante. Formidable en tornade rousse dans Daphné, Emily Beecham a remporté le Prix de la meilleure interprétation à Cannes et la récompense est amplement méritée. Son jeu subtil et sans effets se marie parfaitement bien à une mise en scène soyeuse qui privilégie les lents travellings.
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