Le bonheur par les fleurs ! Voilà l'objectif que s'est fixé un laboratoire en créant une espèce végétale génétiquement modifiée dont le parfum doit rendre heureux son propriétaire à condition de s'en occuper régulièrement. Supervisées par Alice (Emily Beecham), une jeune mère divorcée, les recherches autour de ces fleurs évoluées vont bientôt prendre une tournure particulièrement dangereuse lorsque leur pollen va sembler influencer le comportement humain bien au-delà de l'effet voulu...


Esthétiquement, "Little Joe" se démarque rapidement du tout-venant par son extrême minutie apportée au moindre détail à l'écran pour que chaque élément du cadre soit en corrélation avec ce que le film est en train de raconter. De ce point de vue, la démarche artistique presque jusqu'au-boutiste de Jessica Hausner est assez bluffante. En vrac, on pourrait citer les décors avec notamment celui de ces serres à la froideur clinique en totale contradiction avec l'élément "naturel" étudié, la signification très révélatrice de certains costumes (par exemple, la blouse verte délavée des chercheurs renvoie encore à ce paradoxe science/nature, les tenues florales de la psychanalyste de l'héroïne en disent beaucoup sur la façon de traiter sa patiente dans la continuité des "créatures" du film, etc) ou, enfin, les différents jeux jamais innocents de lumières et de couleurs de chaque scène... Bref, "Little Joe" est incontestablement un film doté d'une identité visuelle forte aussi utile à nous immerger dans son ambiance que pour souligner chacun des points soulevés par le déroulement de son "Invasion des Profanafleurs".


Sur le fond, on ne peut en effet contester que le long-métrage de Jessica Hausner use de son sujet pour brasser un nombre conséquent de thématiques. À la lecture du pitch, les conséquences d'une manipulation artificielle et dangereuse de l'environnement sont bien sûr la toile de fond la plus évidente mais "Little Joe" met surtout en son centre la complexité du lien entre Alice et son fils Joe. Si tout paraît idyllique au premier abord, Alice est en réalité complètement partagée entre son rôle instinctif de mère qui la force à avoir son fils auprès d'elle et le frein inconscient que représente Joe sur sa vie personnelle ou professionnelle. L'apport d'une fleur (dont elle est la "mère") au sein de l'environnement familial va être l'occasion d'exposer les non-dits autour des contradictions de cette relation aussi bien du point de vue maternel que celui de l'enfant en pleine puberté. Par le prisme de cette prise de pouvoir florale, "Little Joe" va également aborder l'uniformisation en milieu professionnel où tout élément marginal a pour vocation d'être éradiqué ou encore celle plus large des individus toujours prompts à suivre un chemin prédéfini. On n'ira pas plus loin pour ne pas dévoiler les perspectives offertes par les tenants et aboutissants de l'influence de ces fleurs mais le fait est que le film explore la plupart des méandres thématiques que lui offre son cadre et ses personnages.
Seulement, à l'instar de sa direction artistique, il le fait avec une telle méticulosité (et, parfois, en le surlignant sans grande subtilité -fallait-il vraiment que l'héroïne exprime sa plus grande faille à voix haute ?) qu'il donne le sentiment d'être presque trop scolaire, comme une sorte de premier de la classe qui s'assurerait de ne rien avoir oublié des points d'une leçon à aborder sans faire place à sa propre imagination. En bon élève, "Little Joe" propage les racines de son sujet SF à tous ses niveaux de lecture mais il utilise finalement cet aspect SF comme un simple prétexte à sa savante étude de cas sans jamais aller au-delà des poncifs induits par une telle idée. On se retrouve ainsi spectateur d'un film totalement prisonnier de sa démarche auteurisante et dont on guette un débordement, un grain de folie, qui ne viendra jamais tant la démonstration paraît bien trop appliquée. De fait, cette volonté de perfectionnisme agaçante dans lequel "Little Joe" se complaît le condamne à éviter toute sortie de route qui lui aurait fait un bien fou et se retourne fatalement contre lui pour ne provoquer qu'un ennui poli...


À moins de s'injecter directement le pollen de ces fleurs dans les veines, dur de ressentir la moindre euphorie devant ce film de Jessica Hausner ! Les qualités de forme et de fond ont beau être notables, l'ensemble se veut tellement brillant et bien pensé à chaque recoin qu'il en devient terriblement excluant vis-à-vis de la moindre implication émotionnelle.

RedArrow
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le 13 nov. 2019

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