Lettre de Batman à Logan

Cher Wolverine,

Enfin... Hey mon pote Logan. Pardon d’être aussi formel, tu sais, c’est la première fois que je t’écris, je ne sais pas vraiment comment je dois m’y prendre, quel registre utiliser. Bien que, te connaissant, t’es pas du genre à aimer tant que ça les conventions. Tu as toujours été le petit électron libre de l’univers Marvel, la brute alcoolique, qui aime ponctuer chacune de ses phrases de quelques petits « fuck » bien placés. On ne s’est jamais rencontré, je le sais bien. Moi, Batman, je ne vis pas dans le même univers mais il n’empêche que j’ai l’impression de te connaître. J’ai le sentiment que nous sommes de bons vieux amis et, qu’un jour, au détour d’un bar, je pourrais boire une bonne bière avec ton cigare et toi. Parce que, tu sais, nous les super-héros, nous avons chacun mille visages, mille traits, mille personnalités, alors que toi, tu es unique. Il n’y a qu’un seul Logan que nous connaissons tous, derrière lequel nous nous rallions tous. C’est ce Logan aux yeux verts cuivrés, au front un peu allongé, aux pommettes saillantes, à la mâchoire carrée ornée de ses célèbres rouflaquettes. Les gens se battent pour savoir quelle version de moi ils préfèrent, et même si cela m'a transformé en une allégorie fragmentée et infinie, toi, tu es une icône mortelle et ainsi profondément belle et humaine.

Je te connais depuis mon enfance tu sais Logan. Les premiers X-Men font partie des films de ma jeunesse et j’ai accompagné avec assiduité, avec émerveillement comme parfois avec rage, tes évolutions, tes apparitions. J’aurai aimé te consoler après Jean, j’aurai aimé me battre à tes côtés, j’aurai aimé te sauver de l’adamentium. Avec ce dernier film, tu as choisi de nous dire au revoir, et bordel mon vieux, quel départ en grandes pompes. T’as jamais fait les choses à moitié, mais là tu t’es surpassé. Dans ce dernier long-métrage, tu as enfin laissé exploser ta personnalité, tes faiblesses, ta violence déliquescente. Tu te laisses aller dans une ivresse de violence, dans des combats crus où il n’est plus question de se cacher mais de se défendre, de se battre. Lors de ta première scène de combat avec la gamine je me suis senti parcouru de frisson, excité par ce spectacle sincère, par ce réalisme saisissant. Iconisé par de sublimes plans, par cette esthétique du western, par ces ciels explosant de mille couleurs, tu m’es apparu comme un surhomme, comme un terrifiant modèle que je voulais enlacer pour lui arracher toute cette brutalité qui le blesse, alors même que je la trouvais si fascinante auparavant.

Oui, dans ce film, je t’ai vu souffrir Logan et ça m’a brisé le cœur à de nombreuses reprises. Tu t’es mis face à ton passé, ce que moi, divisé en cent vies et histoires, je n’aurai jamais à faire, du moins jamais aussi lourdement. Toi tu portes sur tes épaisses épaules des années de péchés, d’agonies et de meurtres. Mais pour cet ultime face à face Logan, tu t’es expliqué, tu nous as parlé de tes crimes, de tes angoisses, de ta culpabilité. Tu nous as montré derrière tes rides une tristesse déchirante, derrière ta barbe une haine de toi-même tordante. Qu’il est saisissant de te voir en monstre beau, regrettant mais coupable, affronter l’horreur du meurtre alors que certains en sont toujours incapables voyant dans ce que tu considères comme inhumain une normalité sans besoin de justification (Jessica Jones et Captain America si vous me lisez).

Loin du néant politique commode et habituel qu’adoptent tes compères chez Marvel, tu as consacré tes dernières heures à un évangile politique. Dans tes malheurs sacrés, tu abordes la question de la peine de mort, de la pollution, des OGM, de l’homosexualité, de l’immigration mexicaine avec une subtilité brillante, une intelligence inégalée. Tu es devenu un martyr repenti, prêt à délivrer quelques derniers beaux messages avant de t’éteindre, de disparaître de nos écrans.

La fin de ton apparition au cinéma rime avec la fin d’une époque. Maintenant je suis adulte, et merci d’avoir été là pour m’aider. Tu seras toujours le seul Logan, le seul Wolverine à mes yeux, comme aux yeux de toute une génération en pleurs. A l’instant où, lors d’un dîner avec Charles-Xavier, vous évoquez nostalgiques l’école des enfants particuliers, je versais déjà une larme, transi d’une mélancolie, d’un passé lointain et adoré. Merci Logan d’avoir existé, d’avoir rempli nos salles de cinéma, d’avoir été drôle, touchant, divertissant, violent et si différent. Tu seras un modèle à vie, merci. C’est tout ce que mes mains tremblantes d’émotions arrivent à t’écrire : Merci.

Adieu l’ami.

Batman