Après plusieurs courts métrages dans la deuxième moitié des 50's, Demy réalise en 1960 son premier long intitulé Lola (sorti en DVD et Blu-ray le 21 novembre dernier par Arte éditions). Ecrit à l'origine comme une comédie musicale filmée en cinémascope et en couleurs, puis finalement tournée en noir et blanc faute de moyens en gommant en prime la dimension musicale, Lola avait tout du film tronqué et bancal. Dès lors les pamphlétaires à la petite semaine trouveraient sans doute légitime de crier à l'injustice. Mais il n'en est rien. Si la vision première de l'auteur a dû être remaniée et réécrite en conséquence, Lola n'a rien du long métrage raté, « sacrifié sur l'autel du dieu argent » éructera l'indigné gâteux de passage. Au contraire, ce premier film s'inscrit pleinement dans la filmographie de Demy, en proposant une variation inédite du film musical qui n'en est pas un, et en attendant Les parapluies de Cherbourg.
Nantes, 1960. Un jeune homme, Roland Cassard (Marc Michel), rencontre quinze ans après son amie d'enfance Cécile (Anouk Aimée) au détour d'une rue. Devenue danseuse de cabaret sous le prénom d'emprunt Lola, elle élève seule son petit garçon de sept ans Yvon, dont le père, Michel (Jacques Harden), est parti peu après l'annonce de la grossesse. Bien qu'entretenant des amours de passage, dont une récente liaison avec un marin américain prénommé Frankie (Alan Scott), Lola attend son grand amour Michel. Tandis que Roland tombe amoureux de Lola, ce dernier fait la rencontre de madame Desnoyers (Elina Labourdette), mère célibataire, et de sa fille Cécile (Annie Duperoux), qui ressemble étrangement à Lola adolescente...
Au delà de la dédicace au cinéaste allemand Max Ophüls, le long métrage, à l'image de nombreux premiers films, multiplie les hommages et autres références à ses pairs. On pense en particulier à Luchino Visconti et à ses Nuits blanches (1957), le trio amoureux incarné par Aimée, Michel et Harden évoquant celui interprété par Schell, Mastroianni et Marais, où un jeune homme tombe amoureux d'une femme qui attend chaque nuit le retour de son amant. Lola constitue également le point de départ d'un cycle qui continuera avec Les parapluies de Cherbourg (1964) et se conclura à la fin de la décennie avec Model Shop (1969), avec comme fil conducteur de cette trilogie, les personnages joués par Anouk Aimée et Marc Michel. Or les points communs entre les deux films de 1961 et 1964 dépassent le simple stade de la séquelle, pour se refléter l'un et l'autre, concept que Demy reprendra souvent par la suite en usant de l'auto-référence. Plus mélodramatique que Lola, Les parapluies joueront de ces ressemblances.
Mis en lumière par le chef opérateur et le producteur emblématique de la Nouvelle vague, Raoul Coutard et Georges de Beauregard, Lola à l'image de son réalisateur s'éloigne pourtant du genre popularisé par Godard, pour se recentrer sur ses personnages... féminins. L'originalité du film est ainsi de dépeindre à travers Lola, Cécile et Mme Desnoyers le portrait d'une même femme : l'héroïne au présent, au passé, et dans un futur possible. Demy n'oublie néanmoins nullement le réalisateur d'À bout de souffle, le personnage de Roland Cassard, en citant explicitement son ami Michel Poiccard (Jean-Paul Belmondo) évoque d'une certaine manière une variation autour du garçon perdu.
Mis en musique par un jeune compositeur prénommé Michel Legrand, Lola offre à Anouk Aimée un rôle culte. Cinquante ans après, on pourra juste regretter sa propension à trop minauder et à jouer sur les pas d'une Marilyn nantaise.