Certes, Lolita reste un film de Kubrick, et donc certaines scènes n'en sont pas moins mémorables, inscrites à jamais dans les annales du cinéma. On pense bien sûr au générique, d'une grande force sensuelle quoique on ne peut plus chaste, montrant un pied découvert, à la peau blanche et jeune que l'on voudrait fiévreusement embrasser, et tenu par la main virile et velu d'un homme, ou aussi, dans le même genre, au premier plan sur Sue Lyon dans le jardin. Ou encore à celui, génial, avec Humbert et Charlotte, le premier regardant d'un côté du lit le portrait de Lolita qui l'enivre, puis quand on le pousse de l'autre côté, se retrouve nez à nez avec un pistolet, chacun des pôles représentant la vie ou la mort.
Néanmoins reconnaissons qu'on est loin, hélas, d'avoir le meilleur Kubrick. Mise en scène peu ingénieuse (surtout au regard de ce auquel il nous a habitués), scénario assez bâclé, dialogues trop bavards, direction d'acteurs loin de tout reproche (s'il est vrai que la beauté de Sue Lyon est indéniable, son jeu est de bien moindre qualité), musique parfois mal choisie. Si la première partie est plus intéressante, grâce en partie à des moments d'humour finement trouvés (avec les femmes le séduisant surtout, ou grâce à certains décalages entre la gravité des faits et le ton léger employé pour le dire), la seconde, elle, pâtit d'un manque d'approfondissement non seulement dans la question sexuelle (fallait-il adapter ce livre sulfureux à cette époque encore trop puritaine?), mais aussi psychologique (le traitement de la paranoïa coupable d'Humbert est assez complet, mais les tourments amoureux de Humbert qui jalonnent le roman de Nabokov et enrichissent l'épaisseur du personnage sont trop absents ici). Et ce qui surprend et, osons le dire, nous déçoit, à l'inverse de ce qu'il avait pu faire dans le magnifique Barry Lindon (voir lien critique ci-dessous), c'est l'incapacité à raconter. En effet, les personnages parlent trop, souvent pour rien, le montage de Kubrick coupe beaucoup trop dans la narration originale et l'écriture à la première personne chez Nabokov rendait mieux compte de l'intériorité d'Humbert (pourquoi ne pas introduire un narrateur/personnage en voix-off?).
Bref, si le roman de Nabokov séduisait surtout pour son côté sulfureux plus que pour sa qualité d'écriture, le Lolita de Kubrick, encore plus contrôlé par la censure, lui demeure inférieur par son incapacité à raconter et à surprendre, se révélant ainsi assez quelconque au regard de l’œuvre considérable (peut-être l'une des meilleures que notre humanité a vue) qu'il nous a offerte. Car, oui, n'en déplaise aux plus fidèles dévots, Dieu aussi peut se tromper.
https://www.senscritique.com/film/Barry_Lyndon/critique/132359595