Je savais qu’Adrian Lyne n’avait pas bonne réputation auprès des cinéphiles mais n’ayant vu aucun de ses films précédents, j’étais bien décidé à lui laisser sa chance d’autant que j’étais curieux de voir Jeremy Irons marcher sur les pas de James Mason.
« A perfect cast » note Léonard Matlin dans Playboy. On est tenté d’ajouter : « maybe but in another movie » ! Car ce qui pose problème au film et autant commencer par la poutre tout de suite avant de voir les pailles, c’est Dominique Swain. Nabokov avait pourtant été sans ambiguïté sur ce point : n’importe quelle fille entre 9 et 14 ans ne peut prétendre au statut de nymphette ! Il s’agit d’un être rare et délicat qui ne fleurit pas partout, même dans les agences de castings."[…]are all girl-children nymphets? Of course not. Otherwise, we who are in the know, we long voyagers, we nympholepts, would have long gone insane. Neither are good looks any criterion; and vulgarity, or at least what a given community terms so, does not necessarily impair certain mysterious characteristics, the fey grace, the elusive, shifty, soul-shattering, insidious charm that separates the nymphet from such coevals of hers […]" Les critères donnés par Nabokov ont beau être assez abstraits, jamais je n’ai réussi à assimiler Dominique Swain à une nymphette ( quand je pense que Christina Ricci postulait pour le rôle ). Sa vulgarité, le spectateur la saisit dès son apparition sur la pelouse dans ce sourire forcé dont elle gratifie Humbert Humbert (découvrant un appareil dentaire qui surjoue l’adolescence comme les socquettes et les couettes dont on affuble des actrices déjà passées dans certaines productions à caractère pornographique ). La vulgarité n’est pas rédhibitoire en soi ( cf. Nabokov) mais il s’agit là d’une vulgarité toute plate sans rien de ce charme insaisissable dont pouvait se prévaloir Sue Lyon. Le regard perpétuellement vide, des vêtements trop courts pour son corps de 16 ans ( et ce n’était pas la mode à l’époque ), autant de sex-appeal qu’une sucette dans le caniveau ( à tout prendre, Melanie Griffith, la soi-disant « obxnoxious mamma » est autrement excitante ), Dominique Swain traverse le film sans avoir rien compris de son personnage.
La classe naturelle de Jeremy Irons, sa parfaite diction laissaient présager une incarnation autrement réussie mais là encore, et désolé de décevoir ses fans, le contresens est total.
Avec sa tête de cocker sous neuroleptique , Jeremy Irons n'est jamais un Humbert Humbert crédible. Il est en permanence abattu, ce qui va à l’encontre de la vitalité requise par le personnage. Humbert est un quadragénaire plein de santé et de drôlerie, pas un enseignant dépressif avec le regard continuellement dans le vide. Alors qu’il devrait jubiler à l’idée de posséder enfin Lolita, ses yeux hagards balaient les couloirs des Enchanted Hunters comme s’il s’agissait du couloir des condamnés à mort. Je jure que je n’exagère pas : regardez pour vous en convaincre sa tête à la 47ème minute alors qu’en voix off, on l’entend murmurer : “Gentlewomen of the jury, if my happiness could have talked, it would have filled that hotel with a deafening roar”. Qu’Humbert Humbert soit angoissé et meurtri après la disparition de Dolorès, je n’y vois aucun inconvénient mais pas dans tout ce qui précède sa fugue. Le problème est qu’il s’inscrit parfaitement dans la démarche de Lyne qui n’avait qu’une envie, gommer l’aspect satirique et hénaurme du livre de Nabokov et du film de Kubrick pour livrer une vision académique et mélancolique de l’Amérique blanche des années cinquante. La musique ( une partition alimentaire du maître Morricone qu’on oubliera au plus vite ) est à l’unisson de cette conception qui noie les images sous un déluge de cordes larmoyantes. Lyne se désintéresse de ses personnages (Charlotte Haze est expédiée en à peine 10 minutes ), délaisse la mise en scène ( pratiquement pas une idée en 2 heures 17 de film si ce n’est les plans filmés à hauteur du chien lors de la première rencontre entre Lo’ et Quilty) mais soigne ses effets (un simple rai de lumière dans la chambre de Lolita irradie à l’égal d’une descente dans le repaire de La roche aux fées ( ça dira sûrement quelque chose aux plus âgés d’entre vous )) et se régale de porches géorgiens, de maisons cossues ( comment imaginer que la veuve Haze ait besoin d'un locataire dans un intérieur aussi luxueux ? ) et de voitures vintage amoureusement briquées pour l’occasion.

Si Le fond procède de la forme comme disait en termes plus incisifs le critique André Bazin , alors le Lolita version 1997 est un film sans âme, triste et creux.
Eric_Aussudre
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le 3 janv. 2015

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Eric_Aussudre

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