Looking, le film
6.9
Looking, le film

Téléfilm de Andrew Haigh (2016)

Voir le film

Looking est un objet intéressant qui prend la forme d'une série de deux saisons (arrêtée pour des raisons de rentabilité), avant d'avoir droit un peu plus tard à une conclusion brève (un téléfilm d'une heure vingt) mais synthétique. C'est aussi le seul soap opera gay qui joue la carte du naturalisme dans un cadre adulte, focalisé sur le plus jeune de la bande, mais en faisant intervenir bien d'autres personnages d'horizons variés (le personnage de Dom notamment, dépassant la quarantaine). Quasiment pas de vieux en revanche, ces angoisses là restent encore hors d'atteinte (je soupçonne que la série l'évoque sans trop s'attarder). Si le côté purement divertissant de l'objet ne m'attire pas particulièrement (seulement un ou deux épisodes de la première saison, pas eu le temps de sympathiser avec les protagonistes), la peinture du milieu gay aux Etats Units me tentait bien davantage, au moins pour goûter outre Atlantique aux pensées des citoyens du drapeau de fierté.


Le principal axe de Looking est centré sur les incertitudes. Si celle de l'orientation n'est jamais évoquée, c'est finalement celle sur la vie de couple qui prend clairement le devant, directement en lien avec l'autre point social du film : le mariage. La difficulté de l'engagement et le maintien de sa vie privée (avec ses propres projets et attentes, notamment professionnelles). Le ton est au spleen et à l'hésitation, des passerelles ne cessant de se tendre autour de Patrick, jeune cadre trentenaire très sensible qui ne parvient jamais à stabiliser ses relations. Les nuances sont plutôt variées entre nos trois protagonistes. Patrick a peur de l'immobilisme d'une relation de couple et enchaîne les rencontres, Dom est devenu abstinent par crainte des compromis, Agustini se marie avec des doutes (n'ayant pas atteint ses objectifs de carrière, il hésite à s'enraciner dans sa position). La posture finale du film est dans l'encouragement à prendre des risques, en affichant l'insouciance et la joie (le blanc dans le discours de Patrick pendant la fête du mariage laisserait presque éclater ses incertitudes si il ne les cachait dans son enthousiasme accentué). A noter que les dilemmes restent constamment les mêmes sans que l'expérience ne vienne au secours des personnages, vision finalement objective de l'incertitude du lendemain.


Sur le point du mariage, le film est clairement pour. Dans le contexte, le seul couple hétéro qui fréquente nos personnages est en union libre en revendiquant leurs doutes dans le mariage. L'évolution de la société et de l'expression des sentiments a fait que chacun se replie finalement sur lui même, la confiance en soit étant finalement le dernier repli de ce en quoi on reste à peu près sûr. Dans une moindre mesure, il y a aussi le personnage de la juge, qui porte une alliance en vivant en union libre car "personne ne veut d'un prof de gym obèse" (excellente façon de résumer la position paradoxale du mariage moderne). Ainsi, au lieu de revendiquer une égalité avec les hétéros (la méthode à la française), les homos se réapproprient le mariage en en faisant un pied de nez au doute et un pari risqué. Le film joue la carte de la spontanéité en remettant le mal d'amour au coeur de la problématique du mariage, sans jamais aller au delà du cadre de leur univers. En cela, la démarche est justifiée, mais le rejet des figures hétéros traditionnelles est également présent (sous l'angle de l'ironie, certes, mais beaucoup de remarques ironiques le sont seulement de ton, les dialogues fonctionnent justement très bien dans ce registre). Le mariage est finalement isolé de son contexte hétéro, dans un univers qui tourne d'ailleurs en vase clos ("Los Angeles est une ville trop petite"). C'est finalement la perception du mariage façon gay à l'ancienne qui prédomine, car ce qui est périphérique au monde gay est maintenu au loin. Le mariage est donc validé sans le schéma familial, ce dernier étant complètement absent chez nos protagonistes, et en discussion chez les hétéros libres. Le film fait d'ailleurs beaucoup d'efforts pour se tenir loin des positions militantes, il n'aborde jamais les symboles et se concentre sur les réactions de Patrick. Il rend hommage à la lutte et résume finalement en une phrase de Ritchie (ex de Patrick) :
"Ce n'est pas parce que tu ne devrais pas avoir besoin d'un truc que t'en as pas besoin."
La position est ambiguë, totalement à l'image de l'incertitude de chaque personnage et des attentes de chacun. Les divergences en milieu gay font également partie du paysage (l'opposition Bradi-Patrick), et en cela le film tend vers la louable tolérance des marginaux (finalement comparable dans le milieu à "l'adaptation à changer" de la juge). C'est en choisissant de ne pas conclure que les créateurs de la série font preuve de clairvoyance et d'honnêteté, le naturel des situations faisant facilement le lien avec les parcours de chacun. L'approche sentimentale fait sens et laisse le naturel convaincre pour chaque portrait, en restant loin des sujets qui fâchent, cantonnés avec le quotidien entrecoupant les sorties en eaux troubles.

Voracinéphile
7
Écrit par

Créée

le 24 nov. 2016

Critique lue 1.3K fois

3 j'aime

5 commentaires

Voracinéphile

Écrit par

Critique lue 1.3K fois

3
5

D'autres avis sur Looking, le film

Looking, le film
Voracinéphile
7

Happy endings

Looking est un objet intéressant qui prend la forme d'une série de deux saisons (arrêtée pour des raisons de rentabilité), avant d'avoir droit un peu plus tard à une conclusion brève (un téléfilm...

le 24 nov. 2016

3 j'aime

5

Looking, le film
Tema
6

Fin douce amère

Un grand merci à HBO d'avoir pu offrir une vraie fin à cette série chère à mon coeur de par sa réalisation et le ton qu'elle n'a jamais cessée d'employer durant 2 saisons. Toutefois, le film, malgré...

le 10 août 2016

3 j'aime

2

Looking, le film
wolfsfall
7

San Francisco mon amour

Le rêve de tout fan d'une série inachevée : obtenir un film pour clore le chapitre et laisser nos petits coeurs de fans hardcore en paix avec une fin toute douce. C'est exactement ce que ce film est...

le 26 avr. 2017

1 j'aime

Du même critique

2001 : L'Odyssée de l'espace
Voracinéphile
5

The golden void

Il faut être de mauvaise foi pour oser critiquer LE chef d’œuvre de SF de l’histoire du cinéma. Le monument intouchable et immaculé. En l’occurrence, il est vrai que 2001 est intelligent dans sa...

le 15 déc. 2013

99 j'aime

116

Hannibal
Voracinéphile
3

Canine creuse

Ah, rarement une série m’aura refroidi aussi vite, et aussi méchamment (mon seul exemple en tête : Paranoia agent, qui commençait merveilleusement (les 5 premiers épisodes sont parfaits à tous les...

le 1 oct. 2013

70 j'aime

36