Looper fait partie de ces films qu'il est difficile de détester. Un acteur à la mode (Gordon-Levitt), un acteur éternel (Bruce Willis), une pépée british qui travaille son accent Southern (Emily Blunt) et un bon pitch SF, promettant de belles envolées paradoxo-temporelles. Tout cela servi sur un plateau par FilmNation, la major indie d'Hollywood, qui concote nombre des projets les plus excitants à venir.

Rian Johnson ose secouer un peu la structure scénaristique, ose emprunter des chemins de traverse, des directions inattendues, et c'est tout à son honneur. Bruce Willis n'apparait qu'au bout de trente minutes de films. Il prend des libertés autour d'un sujet casse-gueule - le voyage dans le temps - et choisit d'y emprunter ce qui l'intéresse dans ce motif, ce qui peut servir son propos tout en restant très évasif sur le reste, par exemple. La réticence du personnage de Bruce Willis à parler de paradoxes spatio-temporels est, à ce titre, plutôt comique. La mise en scène est au diapason, elle se cale sur l'audace narrative du récit : décadrages en cascades, suspense hitchcockien à la pelle, et sens de l'anti-spectaculaire limite provoc. Ces ruptures de ton ne nuisent pas à l'homogénéité de l'ensemble. A première vue, le film ne tient ni du geste punk, ni du clip hystérique et vain. Looper est parfaitement maitrisé. En témoigne la stupéfiante scène de décomposition qui clôt l'exposition du film.

Mais. Le problème de Rian Johnson, c'est qu'il dispose de 30 millions de dollars. Ni plus. Ni moins. Dans un mouvement un peu romantique, l'américain imagine peut-être livrer son Terminator premier du nom (le coté SF fauchée). Ce qui est une nécessité dans un film à petit budget devient vite une posture dans un film à gros budget. On s'étonnera donc de voir cohabiter dans le même métrage, de fringants hélicoptères à réaction et un pick-up Ford très 2010 pauvrement coiffé de tuyaux en plastique. C'est du détail, mais tout dans Looper oscille difficilement entre l'indépendant et le mainstream. Entre les deux, le film ne trouve jamais vraiment sa place, peine à se créer une réelle identité. C'est le contre-coup d'un choix audacieux, un mouvement progressif respectant dans un premier temps l'émerveillement primaire du genre SF (la ville, les engins, le futur) pour atterrir sur les terres epurées d'une exploitation fermière. D'un point de vue cinématographique, symbolique, on se resserre sur les émotions, les personnages. D'un autre, plus pragmatique, on aurait presque l'impression que le budget du film fond à vue d'oeil.

Looper peut heureusement compter sur la sensibilité de son réalisateur. Johnson dépeint un futur de drogués et d'orphelins, cherchant des figures paternelles, un peu là où ils peuvent. Kid Blue recherche désespérément l'approbation d'Abe, son boss Mafioso. Cid refuse de reconnaitre sa mère quand il l'a sous les yeux. Dans le pire des cas, son père c'est soi-même et Joe doit affronter les remontrances d'un futur soi tendance moralisateur. Les Bons d'antan deviennent les Méchants, et les Méchants d'avant sont exécutés sans ménagement. Ce marasme moral donne jour aux pires extrémités. Par moment la fable de la chute des valeurs prend un tour un poil réac.
Cette mise en place des personnages en tant qu'êtres sensibles participant au propos général, éludant l'imperatif hollywoodien faisant d'eux des données dans l'équation du scénario, est typique d'un certain cinéma d'auteur. En résulte une frustration certaine, face aux relations non-creusées, aux pistes scénaristiques avortées. Johnson ne pense pas en arcs scénaristiques. La kinéstesie, pourtant importante à l'intrigue, est abordée maladroitement, en passant, dans l'exposition. La voix-off est grossière et n'est utilisée que pour combler les trous. Par endroits, la greffe ne prend pas. Comme si en s'evertuant à plaquer un modus operanti auteuriste sur un canevas de film mainstream, le metteur en scène était condamné à vulgariser son propos. Quoi de plus moralisateur qu'un drame...?

Nous aussi, on aurait presque peur d'être un poil moralisateur, en scandant "Ami Johnson, entre indie et mainstream, choisis ton camp". Le plus décevant, c'est que le film (très bon au demeurant) nous amène à penser en termes aussi absolus. Ce type de questions n'affleure pas à la vision d'un Paul Thomas Anderson, par exemple. Face à Drive de Nicolas Winding Refn, on pense cinéma, pas structures budgétaires batardes. Rian Johnson n'a peut-être pas su embrasser pleinement la SF. Il n'a pas trouvé une forme en adéquation entre son propos et ses exigences.
Antoinescuras
6
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le 13 nov. 2012

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Antoinescuras

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