Il en faut une sacrée dose d'audace pour décider de mettre en image un sujet aussi sensible que les évènements sordides liés à l'émergence du Black Metal sur la scène norvégienne au début des années 90. Condensé de multiples affaires complexes en une, on a ici un sujet véritablement casse-gueule et délicat pour tout réalisateur en herbe, catégorie dans laquelle j'aurais tendance à placer Jonas Akerlund, dont les seuls faits d'armes derrière une caméra se résument à quelques clips (dont le génial Smack My Bitch Up de The Prodigy) pour le compte d'artistes divers allant de Candlemass à Madonna en passant par U2. Certes, le bonhomme, en tant que batteur du légendaire groupe Bathory, pionnier du Black Metal, a probablement une certaine légitimité du fait de son statut de légende vivante du genre, du reste, je doute fort que l'on ait le nouveau Stanley Kubrick en sa personne.


Tout d'abord, première étrangeté de "Lords of Chaos": le mode de narration à la teen movie vu et revu des millions de fois (du genre "ca c'est moi, un adolescent comme les autres, du moins...en apparence, voici mon histoire"), avec Euronymous pour narrateur, dès lors, les bases sont posées. Difficile de prendre le film au sérieux avec une telle introduction mais soit, passons.


D'un point de vue personnel, j'ai du mal à comprendre le choix du casting en ce qui concerne Varg Vikernes, acteur central de l'affaire. Dans "Lords Of Chaos", l'autoproclamé "Comte Grishniak"(du nom d'un Orc dans "Le Seigneur des Anneaux", oeuvre pour laquelle Vikernes éprouve une véritable fascination) apparaît comme étant un grand dadais un peu stupide, chose étrange si l'on s'en réfère à bon nombre de témoignages sur le personnage en question. Ceci étant, ce parti pris peut probablement s'expliquer par la nécessité de démystifier un homme qui déchaine les passions et fascine un grand nombre d'individus, bien au delà des amateurs de Black Metal, pour un film qui se veut finalement "grand public". Dans une moindre mesure, voir un acteur au visage aussi poupin que Jack Kilmer interpréter le rôle macabre de Dead, premier chanteur de Mayhem, m'a quelque peu interpellé également. En revanche, en ce qui concerne le rôle d'Oystein Aarseth (Euronymous), attribué à Rory Culkin (que j'ai pour ma part connu dans la mini-série Waco), le choix s'avère être assez judicieux selon moi.


A propos de Per Yngve Ohlin (Dead), j'ai trouvé profondément regrettable qu'il ne lui ait été consacré qu'une infime partie du film, à savoir une dizaine de minutes, un quart d'heure peut-être (grand maximum), lui qui certes, aura finalement eu une vie bien trop courte pour y consacrer ne serait-ce que la moitié d'un film, mais qui aura malgré tout marqué de son empreinte le Black Metal à tout jamais, et aurait mérité que l'on explore davantage son fascinant personnage. Aussi regrettable que de constater l'omission d'individus comme Fenriz de Darkthrone que j'aurais réellement aimé voir apparaître au moins une fois dans ce film ( bien qu'après vérification, il s'avère être mentionné dans le casting ). D'autant plus lorsque l'on voit qu'Akerlund se permet le luxe d'introduire un personnage féminin absolument inutile (j'insiste sur le "absolument"), et qui plus est, n'a jamais existé, en guise de copine d'Euronymous (chose qui vaudra à "Lords of Chaos" de se faire proprement incendier par Varg Vikernes sur sa chaîne Youtube).


Hormis ces nombreux points frustrants, on a tout de même droit à quelques scènes plutôt réussies pour rattraper le tout, notamment les trois scènes "chocs" du film, à savoir : le suicide de Dead (pour le coup particulièrement fidèle à la tristement célèbre photo du véritable Dead après son suicide), le meurtre d'un homosexuel par Faust, batteur d'Emperor (bien que je doute sincèrement du fait que l'on puisse se relever après 5 coups de poignard en plein coeur), et bien sûr en dernier lieu, le meurtre d'Euronymous par Vikernes.


De plus, "Lords of Chaos" réussit à ne pas prendre part ou tenter de répondre aux multiples questions qui subsistent après cette affaire et se contente de relater les faits tels qu'ils sont connus (parfois avec une certaine maladresse), sans réellement prendre position où appuyer l'un des nombreux avis sur cette sordide histoire. Il réussit également à ne pas faire de l'un des personnages (Euronymous en tête), un quelconque héros ou martyr et par conséquent, évite de tomber dans le piège principal tendu par un tel scénario, pas de manière très subtile, j'en conviens, mais il y parvient (C'est probablement cet aspect là qui me fait mettre la note de 5 qui pourrait paraître généreuse aux yeux de certains).


En définitif, difficile de savoir sous quel angle visionner "Lords of Chaos" : faut-il le voir comme un documentaire très approximatif quant à certains évènements majeurs de cette sinistre affaire, ou alors comme une oeuvre quasiment de fiction, chose qui m'amènerait dès lors à juger le film sur ses qualités cinématographiques et non sur la véracité des faits évoqués ? Le problème est que dans un cas comme dans l'autre, le résultat s'avère être alors très moyen.
Saluons tout de même une nouvelle fois l'audace d'Akerlund de s'être embarqué dans un chemin si tortueux, pour n'en ressortir que légèrement égratigné.

Garniax
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le 6 mai 2019

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