Voici un film peu connu, exhumé des tréfonds de la filmographie de George Miller, dont je me repaît à l'occasion du séisme de l'année, Mad Max : Fury Road. Cet homme a produit un travail artistique étonnant, naviguant à travers les genres en élançant ses envies de vitesse grisante au moyen de sa caméra voltigeuse et de sa narration fulgurante, atteignant des sommets de délire hallucinogène éclaté dans Happy Feet 2 et se propulsant d'une traite linéaire aussi dévastatrice qu'un missile dans Mad Max 4. Cependant, avant d'être cinéaste, cet homme exerce la profession de médecin. On voit ici un magnifique exemple de synthèse de deux passions intenses, égales, instinctives, vécues par une même personne. Des plans brefs et rapides cisaillent une profondeur de champ vertigineuse, un rythme sans failles, et des personnages magistralement icônisés donnent d'emblée une dimension cinématographique de taille à Lorenzo's oil. On a pas besoin de savoir que c'est une histoire vraie pour y croire, pour ressentir, et pour suffoquer devant l'atrocité des scènes de soin. Mais par contre, lorsque l'heureux dénouement commence à se faire entrevoir, on trépigne, on ruisselle de bonheur, on espère, oui, avec une niaque d'autant plus forte que la fin approche, on espère que cette maladie a également pu être vaincue dans la réalité, que les manières de mener des recherches médicales se sont améliorées, que la famille de Lorenzo existe et qu'ils sont heureux, quelque part, sur cette terre. Pour en arriver là, le couple heureux a du surmonter un coup du sort avec une bravoure et une foi sans pareils. La maladie du petit Lorenzo les heurte de plein fouet, et nous autres avec, spectateurs inconscients que nous sommes. Alors, pendant mon visionnage, me suis-je demandé : mais à quoi bon s'infliger cette torture ? A moins d'être insensible, l'horreur de la situation nous happe et on se sent malheureux, crispé et mal à l'aise pendant plus d'une heure, prostrés à des années lumières du plaisir de voyeurisme ou de sensation forte recherché dans un film d'horreur ou de gore. Mais subir cette épreuve est vital : on apprend à souffrir, à souffrir un petit peu pour les autres. Un petit pas, ridicule, minuscule, accompli devant un écran, et qui vaut pourtant de l'or. Miller dépeint des personnes intelligentes, le mari et la femme étant indispensable l'un à l'autre pour la réussite de cette entreprise. Leurs actions sont aussi réfléchies, voire davantage mûries qu'auraient pu être les nôtres...demandez-vous si vous n'auriez pas préféré clore la vie votre enfant pour lui épargner cette intolérable douleur. Et c'est là que s'accomplit le miracle du film : à force de scènes insoutenables, nous, spectateurs, on n'en peut plus, on hésite, on doute, on préférerait achever l'enfant par pitié (si l'on est émotionnel) ou pour notre confort personnel (si l'on est plus cynique). Mais, si, courageux comme vous l'êtes, vous tenez bon, alors vous ressentirez l'euphorie puis la plénitude d'une étape franchie dans votre développement personnel. Si, si, Lorenzo's oil rend meilleur ! Vous sentirez presque la grâce à Dieu ceindre votre front, mes aïeux. C'est d'autant plus plaisant de voir Miller - un scientifique, un docteur - déclarer lui-même que le hasard et la chance d'une réussite inespérée résonne dans notre sensibilité humaine comme lié à une puissance transcendante. La synthèse entre science, mœurs et religion est parfaite, et les réflexions personnelles qu'engendrent cette œuvre peuvent mener loin. Seules quelques excès dans le jeu des acteurs (Nick Nolte trop cabotin), ainsi que l'adéquation entre forme et fond, ne relèvent pas de la maîtrise parfaite. Mais existentialisme de Lorenzo's oil a du goût, et je vous engage à regarder ce film rare et oublié dès que vous en aurez l'occasion.

SylentWolf
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le 16 juil. 2015

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