30 secondes de bonheur



S'il ne devait me rester qu'un souvenir de Lost in Translation, ce serait sa scène d'ouverture. Ce plan fixe, accompagné des sons étouffés de la ville pour seule musique. Cette ouverture en fondu sur les jambes et les fesses de Charlotte. Quelques secondes suspendues dans l'air. 'City Girl' se fait entendre au loin. Avant de se faire progressivement omniprésente. Fondu au noir. Merci, bonsoir.


Ces 30 premières secondes résument à elles-seules l'ensemble de la pensée du film. Et peut-être de la carrière de Sofia Coppola. Poétiques et maîtrisées. Sensuelles mais jamais vulgaires. Silencieuses et sonores à la fois. Une ode à l'ennui. Au temps qui s'écoule et qui se suspend.


Une ode à la féminité aussi. À cette féminité légère, naïve, espiègle, puissante, désirable, moderne, pop, imparfaite et sublime. Complète.


30 secondes d'exposition parfaites. 30 secondes qui suffisent à donner le ton et à faire comprendre au spectateur où ce voyage cherche à le mener.



Seuls parmi la foule



Dans un hôtel de Tokyo, ils s'ennuient. Elle la jeune étudiante, lui l'acteur sur le retour. Perdus dans un monde inconnu, ils se rencontrent. Ils n'ont rien en commun, si ce n'est le fait d'être là, au même endroit, au même moment. Quitte à s'ennuyer, autant le faire à deux.


C'est donc ensemble qu'ils vont parcourir cet univers si éloigné de leur quotidien. Ensemble ils vont rire, pleurer, courir, danser, parler, se taire, parler encore, fuir, se fuir. Aimer. S'aimer ? Vivre. Vivre pleinement.


Deux vies qui l'espace de quelques précieuses heures n'en font qu'une. Et la caméra de Sofia Coppola pour capturer cet instant. Comme pour 'Virgin Suicides', la réalisatrice américaine filme ses personnages avec tendresse et passion. Sans jugements. Seule compte l'empathie.


Cette même passion que l'on retrouve dans ces plans de Tokyo. Capitale aux mille visages. Capitale paradoxale. Néons criards et temples zen, salles d'arcades et séance d'Ikebana sont ici filmées avec le même amour. Avec le même respect.


Respect pour ses habitants également. Pour ses vieillards malicieux, ses salaryman pressés, ses danseurs du virtuel et ses chanteurs amateurs. Respect pour une culture.



More than this, there nothing



Car si la scène d'ouverture de Lost in Translation est un condensé de sa réalisatrice, c'est bel et bien une scène de vie typiquement japonaise qui contient en elle seule tout le message du film. C'est Bob et Charlotte plongé au coeur de la jeunesse japonaise. C'est Bob qui prend le micro et entonne 'More than this'.



I could feel at the time



There was no way of knowing



Fallen leaves in the night



Who can say where they´re blowing



As free as the wind



And hopefully learning



Why the sea on the tide



Has no way of turning



More than this - there is nothing



More than this, there is nothing. Rien de plus qu'eux, que ce moment, que cet instant. Que ce cinquantenaire perdu et cette jeune fille anxieuse. Rien de plus que Tokyo qui s'illumine et brille. Rien de plus que cette vie présente. Ni passé, ni avenir. Surtout pas d'avenir. Mélancolie et joie se mêlent. Tout en exubérance et en retenue. Tout en douceur surtout.



Comme un murmure



Lost in Translation. Perdu dans les nuances. Dans les sous-entendus. Perdu dans les murmures. Derrière ce fragment de temps décroché du réel, ce sont tous les thèmes fondateurs de l'existence qui se dévoilent. Famille, amour, carrière, temps qui passe, argent, regrets, inquiétudes. Espoir.


Rire aussi. Car Sofia Coppola n'oublie pas d'être drôle. Comme dans ce plan absurde montrant Bob (Bill Murray et ses 1m88) dans un ascenseur bondé. De cette foule de costumes, seule dépasse sa tête. Le ressort comique est évident. Quant à savoir si c'est lui qui est trop grand ou les autres trop petits, à chacun de se faire son avis. Ces pointes d'humour, gentiment moqueuses, émailleront le film. Sofia Coppola est une enfant espiègle qui nous fait sourire en nous attendrissant. Qui nous surprend.


Qui nous surprend jusque dans son OST éclectique. Faisant souffler sur sa poésie sensible le vent d'une musique qui lui ressemble, la réalisatrice trouve le mélange parfait. Rock 70', Indie pop, jazz, electro, space rock... Sophistiquée sans être prétentieuse. Moderne mais respectueuse d'un héritage, la bande son est à l'image du film.


Une caresse électrique. Un murmure sonore. Un chuchotement délicieux. Mélancolique et emplie d'espérance. Un fragment de temps. Hier n'a plus d'importance, demain n'existe pas. Seul compte aujourd'hui. Seul compte maintenant.

Wapika
10
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Créée

le 2 déc. 2016

Critique lue 234 fois

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