Masaaki Yuasa, soit on l’aime à la folie, soit on le déteste outre mesure. Il ne semble pas y avoir de juste milieu. Le film ne laisse pas indifférent et est loin de recueillir un avis consensuel parmi le public et la critique (et tant mieux), malgré la volonté explicite du réalisateur d’être accessible au plus grand nombre, après qu’on a reproché à ses œuvres précédentes d’être bien mais pas recommandables (!!).
Pauvre de lui, cette fois encore, ce n’est pas gagné, malgré le cristal du long-métrage à Annecy.


Innover avec le déjà-vu


Lou et l’île aux sirènes est pourtant bien « soft » par rapport à ce qu’il a fait auparavant, que ce soit dans la forme ou le fond. Le schéma narratif combine des éléments on ne peut plus traditionnels : un jeune Tokyoïte, Kai, en pleine crise d’adolescence, exilé dans une petit village de pêcheurs après le divorce de ses parents ; la rencontre inopinée d’une sirène sur fond de musique et de danse ; la naissance de l’amitié ; les ennuis qui commencent avec les habitants qui voient en Lou une menace ; avant que tout se termine bien. Raconté de cette manière, Lou peut fortement rappeler Ponyo de Miyazaki. En vérité les deux films n’ont rien à voir – et ceux qui, habitués des productions Ghibli, s’attendent à un remake de Ponyo seront forcément déçus. Les films de Miyazaki sont très marqués par une poésie des créatures étranges, parfois adorables, parfois effrayants, en tout cas fascinants. C’est comme se laisser embarquer dans un autre monde (Chihiro), intemporel et merveilleux. Et s’il peut y avoir des références à notre monde, elles sont avant tout métaphoriques ou symboliques (Porco Rosso).
Au contraire, le film de Yuasa nous parle directement du monde réel. Le ton est beaucoup plus social. Il nous montre notamment la difficulté économique des petites villes portuaires qui vivent traditionnellement de la pêche et qui sont confrontées à la modernité et à la mondialisation. Il donne aussi à voir le vieillissement de la population et en contrepoint, l’incertitude des jeunes quant à leur avenir (partir à Tokyo oui, mais combien sont ceux qui réussissent par rapport à ceux qui finalement rentrent chez eux reprendre les affaires familiales ?). Enfin, Lou va plus loin que ce simple constat des faits, s’attaquant à des tendances contemporains qui gangrènent notre société du spectacle et du divertissement : par exemple les phénomènes viraux sur les réseaux sociaux ou YouTube ; l’instrumentalisation par les businessman de toute sorte de phénomènes au service d’une foule volontairement asservie, en quête du sensationnel (Lou transformée en numéro de foire et produit marketing).
Ainsi le film de Yuasa est foisonnant car il fait coexister des mondes très différents les uns des autres : le traditionnel, le contemporain, le merveilleux. On pourra lui reprocher une certaine confusion narrative à cause des éléments jugés non nécessaires. Mais en vérité, tout fonctionne avec une grande cohérence et participe à la complexité d’un film à l’intrigue au premier abord simpliste.


Hymne à la jeunesse


Comme dans Ping Pong The Animation, série animée adaptée du manga de Taiyou Matsumoto, Masaaki Yuasa nous parle ici de jeunesse, d’amitié, de passion, du fait de grandir, de trouver sa voie. A travers Kai, jeune collégien un peu paumé passionné de musique électronique, il nous dresse un très beau portrait d’adolescent (et le réalisateur va même jusqu’à engager un jeune acteur de quinze ans pour la voix!). On suit avec plaisir l’évolution du personnage qui, d’un caractère d’abord renfermé, solitaire et asocial, s’ouvre peu à peu, sort de sa coquille. Son amitié avec Lou le pousse à s’affirmer, à se découvrir aux autres, à sourire, à faire des projets pour l’avenir. La différence est flagrante entre le début et la fin du film. Cela est mise en avant par la reprise d’une situation somme toute anodine : Kai sur le chemin à l’école le matin et ses amis (entre-temps devenus vraiment ses amis) qui le rejoignent. Entre ces deux bouts, il y a eu Lou et les événements qui ont eu lieu autour.
Et au coeur de cette rencontre avec l’altérité : la musique. Les premières images du film ont quelque chose de révélateur. C’est une page YouTube où l’on voit une vidéo de Kai dont le visage est hors-champ, faisant de la musique électronique. C’est par ce biais que Yuho et Kunio découvre son « hobby » et vont insister pour qu’il intègre leur groupe. Dans un village de pêcheur surtout peuplé de vieux, les distractions sont rares. La musique offre aux jeunes un moyen d’évasion efficace, à travers l’art, mais aussi dans l’ambition d’y réussir. Yuho, notamment, a des rêves de gloire et du succès. Kai, de son côté, ne songe pas vraiment à vivre de sa musique. Son rapport à lui n’est en aucun cas utilitaire. Il est avant tout fondé sur le plaisir. La musique a une place essentielle dans les rapports humains (ou avec certaines créatures aquatiques !), comme on le voit dans la famille de Kai, où c’est presque quelque chose d’héréditaire : la chanson du grand-père dans les flash-back colorés, les cassettes cachées de ballades amoureuses du père. Masaaki Yuasa a dit que l’un des thèmes centraux de ce film, c’était d’exprimer ouvertement ce que l’on a dans le cœur. Eh bien, quelle plus belle manière de le faire que par la musique ? (Si tu n’arrives pas à le dire, chante-le)


Hymne à la joie


Comme on dit, le meilleur pour la fin. On peut s’en douter, la bande-son a une place prépondérante, la musique étant l’un des éléments structurants du film. Ici, elle est plutôt simple mais entraînante et coloré. Je trouve que les compositions les plus belles sont celles de Kai et du grand-père. Elles ont quelque chose d’enfantin, de direct, de terriblement sincère. Mais ce qui fait que Lou est aussi lumineux, c’est évidemment le travail de l’animation. Connu pour son extravagance visuelle, sa tendance à la déformation, son utilisation très libre des couleurs, Masaaki Yuasa s’est pourtant ici beaucoup assagi (eh oui, faire grand public), ce qui ne veut pas dire qu’on ne retrouve plus ce qui a fait son succès. L’animation sur Flash donne un dessin aux lignes fluides et régulières. Comme dans The Tatami Galaxy, les traits des personnages sont très simples, en contraste avec les décors (et tout le reste) qui sont extrêmement élaborés. Le style de Yuasa est bien présent dans des scènes assez spectaculaires et vertinigeuses, mais il est cette fois-ci comme contenu, pour ne pas écraser le spectateur.
De fait, ce film, comme dans de nombreuses œuvres de ce réalisateur, est caractérisé par une certaine discontinuité visuelle. On passe rapidement d’un style à un autre, selon ce qui est raconté. C’est très inventif. On sent l’imagination à l’œuvre, notamment dans certaines prises de vue aux angles impossibles. Des couleurs qui pètent aux mouvements spectaculaires de caméra, je pense qu’on touche là à l’essence du cinéma d’animation, c’est-à-dire le déploiement d’un monde en soi, grâce à toutes les possibilités offertes par le dessin et le mouvement. Ajoutez à cela un humour ravageur, tantôt absurde, tantôt grotesque, on tient là un film tellement jouissif qu’on en oublierait tous ses défauts.


Si Lou est une telle réussite à mes yeux, c’est parce qu’il est si direct, si généreux, si essentiellement humain, qu’il est difficile de ne pas en ressortir ému et émerveillé. Certes, la forme peut en déconcerter plus d’un. Elle ne répond pas vraiment aux standards de l’animation japonaise et vous ne parviendrez pas à la faire entrer dans des catégories pré-établies. Oubliez donc tout ce que vous savez ; soyez innocent et naïf comme un enfant et ce film sera un voyage merveilleux d’où vous ressortirez les étoiles pleins les yeux.

Backdrifters
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le 25 juin 2017

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