Le cinéma de Gaspar Noe et la violence ont toujours eu un lien étroit. Etant un réalisateur de la primitivité des sentiments, de l’iconographie viscérale des liens humains, le réalisateur français se lance dans l’introspection amoureuse avec Love, film racontant les vagues souvenirs d’une histoire passionnelle et sexuelle entre Murphy et Electra. Reprenant l’idée de la chronologie inversée d’[Irréversible]1, Love se commence alors par la rupture pour finir sur la rencontre initiale, scène dotée d’une réelle simplicité, et de ce fait, qui dénote avec le reste d’un film, qui s’avère finalement bancal et peu habité. Car malgré sa volonté de filmer la passion charnelle, la haine qui froisse, d’élever son imagerie amoureuse dans tout ce qu’il y a de plus cru et réel, Gaspar Noé s’embourbe malheureusement dans un récit fantomatique, assez binaire sans être inintéressant, qui pose alors la question du lien entre le fond et la forme du cinéma de Gaspar Noé.


Là où Seul contre tous se réappropriait le genre social, où Irréversible personnalisait le rape and revenge, Gaspar Noé s’attaque à la romance. Malheureusement Love détient un schéma assez simple, narrant une suite de scènes explicites où le couple trouve son orgasme dans l’acte sexuel à deux ou à trois avec la voisine de palier qui sera par la suite la cause de la rupture, s’incorporant avec la folie de séquences de disputes éhontées voire outrancièrement surjouées. Gaspar Noé, voit le couple, sa façon de se construire, de se détruire, par le conflit, la symbiose des corps qui s’entremêlent et la disparité des sentiments. Là où un film comme La vie d’Adèle arrivait à s’extirper de ses longues et lascives scènes sexuelles pour rechercher l’essence même de la complicité de deux âmes, de deux personnes en osmose, Gaspar Noe semble trop restreint dans sa vision même du couple, où tout est une question de sexe, de tromperie ou de tentation subversive.


Mais Love touche parfois la grâce en parlant de la perte, et de la dimension mortifère d’une relation avec cette ambivalence récurrente chez Noe entre la mort et la naissance, où Love voit la conception d’un enfant « donner » la disparition de l’amour d’une vie. Dans un souci parfaitement maitrisé de capter la beauté intrinsèque des corps, Love trouve tout son charme dans sa capacité à ne jamais amplifier ses effets esthétiques, de garder un naturel poétique, comme durant cette première scène somptueuse de masturbation mutuelle. Des premiers instants qui allient candeur et lyrisme grâce au sens du cadre et au travail sur la lumière d’un Benoit Debie toujours aussi inspiré. De ce biais, Love en devient presque schizophrénique dans son processus de création car si l’on peut reprocher au film son manque d’ambition dans sa narration progressive avec ses dialogues lymphatiques et solennels; la finesse de la bande sonore et la modestie de la mise en scène étonnent dans le bon sens du terme de la part du réalisateur d’Enter the Void.


Notamment dû à la lourdeur des caméras 3D, Gaspar Noe se détache de sa réalisation purement immersive et psychédélique d’Irréversible et d’Enter the Void. Oubliant sa caméra omnisciente et volatile, Noe reprend les plans fixes de Carne ou de Seuls contre Tous, tout en utilisant avec efficacité la profondeur de champ de la 3D. Ne semblant pas quel prisme donner à son film et voulant s’approprier son jouet au maximum, Gaspar Noe s’immisce au plus au plus point dans ce dernier, lui donnant une aura presque autobiographique ringarde, au comique désastreux, et à la complaisance un peu idiote (scène échangiste, transsexuel). Mais derrière cet exercice de style qui touche à la fois au sublime et au crasseux, Love manque d’une chose : de cœur. Sans parler de son casting sauvage où l’improvisation maladroite fait rage, à force de vouloir inscrire son œuvre dans le sperme et le sang, l’alchimie ne trouve aucun relief, et l’émotion vampirise toute forme d’ébullition intérieure et cachée où Noé ne sait pas lier la chair et l’esprit.

Velvetman
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le 5 août 2015

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