Le grand amour sur grand écran



- "What's best in life?"
- "Love!"
- "What's best after that?"
- "Sex!"



Oubliez tout



Oubliez Cannes. Oubliez les critiques.
Oubliez tous ces films qui prétendent parler d'un amour fusionnel, passionnel – pour lequel on prend plaisir à croire que rien ne lui résiste – et qui intègrent des scènes de sexe intrépides ("La Vie d'Adèle" par exemple). Il y a de fortes chances pour qu'ils soient tous insignifiants voire ridicules, comparé au résultat atteint par Gaspar Noé.
Car il est ici bel et bien question d'amour, comme son titre l'indique. De l'histoire d'amour d'un couple passionnel, qui subit les aléas de la vie, et de l'amour. Sont-ils des victimes ? Sommes-nous tous des accidentés de l'amour, faibles et fragiles face aux tortures qu'il impose, béat et comblé suite à l'enchantement qu'il propage ?
Gardez les vices voluptueux de vos expériences passées, ce sont elles qui forgeront votre avis et vous permettront d'avoir un avis subjectif. Mais pourquoi diable les appelle-t-on "vices" ? Oubliez également ce mot excessivement péjoratif, qui désigne ce qui est non moral, défectueux et qui fait défaut. Car vous n'avez pas suivi, on vient de le dire, on le sait et on a envie de le crier fort : l'amour et le sexe, sont ce qu'il y a de meilleur dans la vie.
Préservez votre savoir empirique, celui inculqué par vos émotions, vos sentiments. Et allez voir "Love". Allez le voir pour vous. Pas pour les autres. Car il n'est pas de sujet plus personnel et intime que l'amour. Nous en avons tous une vision propre et exclusive, animée par notre apprentissage singulier.
Raconter l'amour, le grand amour, sur grand écran. Un sacré défi pour un sujet si mystérieux, si particulier et individuel.



Contexte



Il s'agit du premier film de Gaspar Noé que j'ai vu. Je suis allée le voir avec un regard ingénu. N'ayant lu aucune critique à son sujet, j'avais brièvement eu vent de la vague déferlante de critiques déchaînées, dépeignant un scandale pornographique : du cul pour du cul. Puis, l'envie m'a frappé, avec un titre pareil, "Love", j'ai sauté sur l'occasion – une proposition pour le voir en avant-première –, pour m'y rendre, y forger mon propre avis et découvrir la perception d'un cinéaste dont je ne savais rien.

Je ne peux donc pas développer un oeil critique, visant à comparer ce film à ses oeuvres précédentes : reprise de la voix-off, ré-apparition de la drogue etc.. (ai-je appris par la suite), des éléments récurrents qui fatiguent et ennuient vraisemblablement certains spectateurs habitués des films à la Noé.



"Love", une oeuvre artistique




« L'art n'est pas chaste, on devrait l'interdire aux ignorants innocents, ne jamais mettre en contact avec lui ceux qui y sont insuffisamment préparés. Oui, l'art est dangereux. Ou s'il est chaste, ce n'est pas de l'art. ».
Pablo Picasso



Soyez prêts.
Prêts à découvrir une histoire simple, déconcertante par son réalisme et sulfureuse par la férocité du désir des protagonistes.
Préparez-vous à une claque esthétique : un jeu de lumière merveilleux. La vision 3D offerte par le film ne fait qu'appuyer cette exaltation fantasque en tout point : scènes captées en plongée, très peu découpée dans la durée, des clairs-obscurs esthétiques. Couplée à une musique envoûtante, le film nous plonge dans un monde quotidien, où l'amour et ses contrariétés s'affrontent. Et le résultat est audacieux, Noé met le spectateur face à ce qui est toujours en France en 2015, tantôt tabou, tantôt assumé. Entrer dans l'intimité de ce jeune couple nous propulse dans une situation de voyeurisme, d'exhibition, qui ne date pas d'hier et qui nous fascine pourtant toujours autant (cf. N.B.).


Jusqu'à présent au cinéma, soit on nous parle de sexe tout en parlant d'autre chose, soit on déplace l'attention du spectateur vers un terrain où le sérieux des représentations est écorné.
Voilà pourquoi il est à mes yeux, important de vous rendre dans la salle de cinéma en laissant vos préconceptions du film (et du mot "sexe") de côté. Vous en sortirez avec un avis subjectif. Non, pas objectif. C'est un sujet, un film, bien trop personnel pour rattacher votre regard critique à ce que vous subissez de la société. Une interprétation qui plus que pour d'autres films, varie en fonction de la personnalité et du vécu de chacun. Voilà pourquoi je me suis demandée si le film ne devrait pas être interdit aux moins de 18 ans, ne serait-ce que pour contrecarrer le degré de complexité des sentiments et émotions décriées au travers du film, bien trop imperceptibles pour de jeunes âmes vierges de l'amour.


Chacun aura son propre avis. Cela peut plaire ou déplaire. Mais à moins d'avoir 40 ans et d'être toujours puceau, personne ne peut à mon sens en sortir indifférent.


Noé montre l'amour dans tous ces états. L'amour tel qu'il a été, tel qu'il est, et tel qu'il sera perpétuellement.
L'amour n'est pas chaste, et la vie ne l'est pas non plus.



L'abus (à outrance et injustifié) du terme "pornographique"



Si l'on se tient à la définition, basique mais efficace, de wikipedia, la pornographie est la : « représentation complaisante – à caractère sexuel – de sujets, de détails obscènes, dans une œuvre artistique, littéraire ou cinématographique ». Voilà pourquoi une exposition de photographie représentant des organes génitaux de manière explicite, sera justement qualifier de "pornographique" et interdite d'accès aux moins de 18 ans.
Mais comme le précise l'article wikipedia lui-même, pour le cinéma, le terme donne du fil à retordre : « Le terme se confond aujourd'hui avec sa perception à travers le prisme des films pornographiques : soit d'une représentation d'actes sexuels ayant pour objectif d'exciter sexuellement le spectateur. »


Non, le but du film n'est certainement pas d'exciter le spectateur.
Je ne saurai qualifier avec exactitude la part qu'occupe les scènes de sexe sur la totalité le film, mais le sentiment que j'en ai est qu'il s'agit d'un peu moins d'un tiers du film. En réalité, je me fiche de savoir quelle est sa proportion exacte, car ce n'est définitivement pas un film avec du sexe pour le sexe. C'est un film sur l'amour, et le sexe faisant partie intégrante de l'amour, pourquoi le cacher ? C'est une procédure singulière, sans rien d'embarrassant, un acte absolument courant. Et par soucis de cohésion, pour ne rien cacher, rien n'est simulé. Ce qui en soit est logique.
Le montage est astucieux, un rythme parfait, jamais trop long, jamais trop court. Beaucoup de scènes d'amour faisant appel au sexe sont lentes et sensuelles.


Et si la bande-annonce vous laisse croire que le contenu de cette oeuvre cinématographique se limite au sexe, au cul, vous vous méprenez. Ce sont certes des corps déchaînés qui se manifestent mais envisagez l'idée selon laquelle est il est déjà fort difficile de traduire l'expression de l'amour en 2h10, alors comment le faire en 1:47 min ? C'est simple : une compilation de scènes de sexe. Car, ne vous déplaise, le sexe est l'expression de l'amour.



N.B : n'oublions pas les vestiges de notre passé



Les premières représentations érotiques et sexuelles que l'on peut relever dans l'Histoire de l'art remontent au Paléolithique. Les grecs ont souvent peint des scènes sexuelles sur leurs céramiques et de nombreuses peintures et sculptures sexuellement explicites sont également visibles dans les vestiges romains, des représentations homosexuelles mais aussi des scènes intimes de la vie quotidienne, certaines plus sexuelles que d'autres.
Cette volonté de représenter l'exaltation, les jeux érotiques dans toute leur beauté, sans négliger le sens symbolique dont ils se sont chargés perdurent au fil des courant artistiques : un érotisme esthétisant avec un recherche du mouvement, de la déformation (Maniérisme, au XVIe s). Apparaissent des décors exotiques, gais, champêtres, imprégnés d'objets de jouissance, la femme incarne l'amour et les plaisirs, l'érotisme la transgression de l'interdit (Rococo, XVIIIe s). Adepte du "sacrifice" dans l'amour, les artistes baroques prennent comme modèles les martyrs (XIXe s). Émergent ensuite la sensibilité et la pureté (Néoclassicisme, XIXe s), les multiples scandales avec le nu mis en situation dans des scènes érotiques réalistes et non plus des scènes de mythologies ainsi que des représentations de nus féminins sur le vif, dans des situations quotidiennes (Réalisme et Impressionnisme). Ces représentations très crues du corps humain, à la limite de la pornographie, audace avec un pouvoir de fascination. Courbet peint L'origine du monde avec vérité. Sa démarche transgresse les conventions et est une pure provocation. L'objet du tableau nous regarde avec impudeur et insistance. L'expérience se renouvelle avec Cézanne, Degas, Renoir, Toulouse-Lautrec, la sexualité est un sujet qui se rapproche du spectateur qui devient malgré lui, l'observateur d'une scène indiscrète, ce qui consiste à rendre purement l'impression visuelle telle qu'elle est ressentie par l'artiste. L'expression sexuelle à travers des oeuvres est récurrente dans l'histoire de l'art des civilisations (Asie, Perse etc.) et nombreux sont les artistes, également sculpteurs, écrivains, poètes ou dramaturges qui firent jaillirent l'amour dans leurs oeuvres, source d'inspiration inépuisable.
Sans oublier la naissance de l'art contemporain, qui lève tous les tabous relatifs au sexe. Avec un mouvement global de rénovation, les artistes insistent sur le caractère ordinaire de l'acte sexuel, dans le mesure où le sexe fait partie de l'existence comme le reste.
À partir des années 1980-1990, l'exhibition artistique du sexe est devenue une procédure peu singulière, sans plus rien d'embarrassant, un acte alors absolument courant. Nullement de quoi s'exciter en tout cas.
Larry Clark ou encore Jeff Koons, montrent la sexualité dans ses aspects occultés comme la violence sexuelle, le lien avec la drogue etc.


Et les gens vont voir ça. Dans des musées. Ils payent. Ils sont fascinés. Est-ce par le caractère historique des oeuvres ? L'habileté technique des artistes ? Le thème des oeuvres ?
Quelque soit la réponse, Gaspar Noé ne fait, à son sens, que suivre et reproduire la lignée thématique de ces artistes, appliquée au cinéma.




- "What's best in life?"
- "Love!"
- "What's best after that?"
- "Sex!"


Les deux s'additionnent et se consomment, sans limite, aucune. Si ce n'est celles qu'on s'impose.

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le 1 juil. 2015

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magaliiw

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