Le biopic d’artistes musicaux est décidément un genre qui attire les cinéastes. Leur vie est souvent « bigger than life », apporte du romanesque sur un plateau et même hélas parfois du tragique.


Dans « Love & Mercy » du producteur Bill Pohlad (Brokeback mountain, Into the wild, Twelve years a slave…) , c’est Brian Wilson, pivot central des Beach Boys, qui est le sujet. Mis en scène dans deux moments clés de sa vie, il est interprété en jeune adulte, créatif mais tourmenté, par Paul Dano, en 1966 précisément ; puis vers la fin des années 80 par John Cusack, à un autre moment charnière de sa vie, de sa vie amoureuse surtout. Les deux acteurs sont loin de se ressembler, et pourtant on ressent la même présence indéniablement. Une même ambiance, une même tristesse qui enveloppe ce compositeur connu pourtant pour sa pop music californienne. Peut-être une mélancolie supplémentaire pour l’histoire du passé, pour laquelle le chef opérateur Robert Yeoman choisit de tourner en 16 mm (contre un classique 35 mm pour la partie « eighties » du film).


Les deux histoires se déroulent à l’écran de manière alternée, se renforçant l’une l’autre. Dans une partie, on assiste à sa douloureuse marche vers une certaine forme de folie. Dans l’autre, on suit sa difficile route vers la guérison.


En 1966, les Beach Boys sont déjà au sommet d’une gloire que le réalisateur évacue en à peine cinq minutes, dans une séquence aux allures de documentaire qui reprend même brièvement la célèbre pose avec la planche de surf. Ce qui intéresse le réalisateur, c’est Brian Wilson, en proie à des hallucinations auditives, suite à une surdité profonde de l’oreille droite dont la légende dit qu’elle est due à une claque de trop de la part de son père. Le rendu de ces hallucinations est impressionnant, psychédélique et vaguement inquiétant, et montre bien en quoi elles peuvent, et ont rendu le jeune musicien fou. Ça, et bien sûr les pilules acides…Paul Dano a donné de sa personne, plus qu’à son habitude : physique replet aux antipodes de son personnage dégingandé de Prisoners (Denis Villeneuve), tour de chant tellement bluffant qu’on ne sait pas si c’est lui qui chante ou s’il s’agit des enregistrements mis à disposition par Brian et Melinda Wilson, très présents sur le tournage.


Il interprète de manière habitée le rôle de ce jeune homme torturé. Un jeune homme insatisfait par un énorme succès glané sur de mauvaises bases (« de la musique de surfeurs que nous ne sommes pas et que nous n’avons jamais été, alors que les surfeurs eux-mêmes ne nous écoutent pas » dit-il au groupe). Un jeune homme angoissé par la scène et les grosses tournées mondiales, alors que le simple tintement des couverts contre les assiettes à la fête organisée pour le succès de « Good vibrations » se transforme en véritable supplice . Un jeune homme attristé de ne pas sortir un album aussi bon que celui des Beatles : à un moment dans la piscine familiale, il se tient dans le grand bain ; il demande à ses frères et cousin de venir vers lui ; Mike, son cousin, lui dit : « we are too shallow for that » (un jeu de mot sur shallow : peu profond/ superficiel, « nous ne sommes pas taillés pour ça »), une manière de vouloir mettre un terme à ses rêves de rock-opera...


Dans les années 80, c’est un autre homme qu’on voit à l’écran. John Cusack interprète un homme rincé, éprouvé, qui a visiblement perdu son génie. On le découvre dans une première scène où il inspecte l’intérieur d’une Cadillac d’exposition pieds nus, « pour ne pas salir » dit-il à Melinda, la vendeuse incrédule qui s’est approchée de lui (Elizabeth Banks). Voilà qui il est : un homme qui a peur de tout, qui n’est sûr de rien, abruti de médicaments par Eugene Landy, son peu scrupuleux tuteur (Paul Giamatti, impeccable dans son rôle de méchant emperruqué). John Cusack donne une vie très ténue à son personnage, la démarche et la voix d’une personne qui réapprend à exister. Elizabeth Banks joue avec beaucoup de nuance une belle personne source de solide énergie, tout en étant très douce et empathique. Des interprétations tout aussi émouvantes les unes que les autres.


Tout le film est en réalité émouvant : les relations difficiles de Brian jeune avec son père (Billy camp), ses crises d’angoisse quand les hallucinations le frappent, l’histoire d’amour avec Melinda, une histoire qui se construit dans la douleur, mais dans l’espoir aussi. Tout est émouvant, mais surtout la musique. Une musique qu’on redécouvre, soudain chargée de sens, élaborée brillamment par Atticus Ross (compère de Trent Reznor de Nine Inch Nail) à partir de la voix de Brian Wilson, tirée de l’important matériau mis à la disposition de la production, mélangé à la propre voix de Paul Dano, avec des musiciens de studio plus vrais que nature, et un tournage dans les lieux mêmes de l’enregistrement du mythique Pet sounds des Beach boys. Une vraie mine d’or pour un biopic musical.


Love & Mercy est un film réussi, légèrement hagiographique , alors même que le réalisateur avoue être davantage un fan des Beatles que des Beach boys. Un film où le producteur Bill Pohlad qui s’essaie à la réalisation pour la deuxième fois, 25 ans après son premier film, s’offre une étonnante scène revendiquée ouvertement comme un hommage (plutôt réussi) à 2001 : Odyssée de l’espace. Une halte incontournable pour l’été du cinéphile.

Bea_Dls
9
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le 10 juil. 2015

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Bea Dls

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