Je ne sais pas pourquoi Lloyd Webber a décidé, quelques années après la création de ce qui restera probablement comme son chef d'oeuvre, de lui donner une suite qui mettra presque vingt ans a atteindre les planches. Volonté de se mesurer à sa propre légende, d'essayer d'aller plus loin encore, de créer un dyptique dont les parties se répondraient ? La réponse tient peut-être simplement dans le personnage si fascinant du Fantôme, qui aura inspiré le compositeur autant qu'il a marqué le spectateur...


On peut l'affirmer d'emblée, Love never dies ne parvient jamais à atteindre le niveau de son prédécesseur en raison de faiblesses structurelles évidentes, dues en grande partie à son scénario quasi-inexistant qui n'est de plus pas cohérent avec celui du Phantom. Impossible de surmonter une certaine déception à la fin du spectacle, l'ambition n'ayant pas suffit à porter le projet jusqu'à l'excellence. Une fois évacué l'écrasant poids de la succession, le "petit nouveau" ne démérite pourtant pas et est très loin de ce que l'opinion en laissait entendre.


Il faut bien sûr accepter les "libertés artistiques" accordées tant sur le plan de la continuité que du caractère des personnages, mais c'est à ce prix qu'on peut apprécier deux heures d'un spectacle dont les qualités sont nombreuses : les costumes, décors et enchaînements de scènes nous plongent dans l'environnement gothico-industriel de Coney Island, à la fois cirque de foire, revue et mystérieuse machinerie n'ayant d'autre raison d'être que d'abriter le Fantôme en son sein. L'homogénéité qualitative de ces scènes rehausse d'effets certains passages chantés, mais l'exubérance alterne de façon équilibrée avec une sobriété qui permet de centrer les morceaux plus intimistes sur leurs interprètes. Un choix judicieux tant la musique porte le spectacle, au point que le reste en paraisse accessoire (et qu'on lui pardonne son scénario).


Les compositions se concentrent avant tout sur l'émotion des personnages et font éclater leurs ressentis profonds : la mélancolie du Fantôme, le déchirement intérieur de Christine, les doutes et l'esprit brisé de Raoul, l'espoir de Meg... les personnages prennent vie "sous nos oreilles" et on ressent toute leur complexité à la seule force des arrangements, que les paroles viennent épouser de manière très naturelle.
Pourtant, ce qui reste en tête une fois le générique passé (si on excepte le poignant " 'till I hear you sing once more" qui vous fouaille les tripes dès l'ouverture), ce sont les duos. Retrouvailles, révélations sentimentales, reproches adressés à demi-mots, affrontement entre volontés opposées, le panel de situation est large et chaque morceau est l'occasion de tordre un peu plus les personnages pour en exposer le plus intime à la lumière.


La qualité de la partie musicale met évidemment en relief les manquements du reste du spectacle, mais lui permet également de prendre son envol : Love never dies est loin d'être le ratage annoncé, que ce soit en tant que suite (même si le spectacle assume son héritage de manière spirituelle avant tout) ou en tant qu'oeuvre autonome. Il ne s'agit certes que d'une "simple" suite, mais de la simple suite de l'un des plus grands musical, qui tient son rôle sans démériter.

Chips
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le 1 janv. 2018

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