The world is indeed comic, but the joke is on mankind

Lorsque j’avais 14 ans, l’ignorance confortable et sûre dans laquelle mon âme avait baigné pendant les années insouciantes de l’enfance, avait déjà été ébranlée par les différentes découvertes de la science et particulièrement par le sentiment d’insignifiance de la condition humaine induite par la science astronomique. J’avais déjà conscience à l’époque que, ce que nous appelions société, morale, religion, et même la science n’était qu’un mince vernis de mensonge, destiné à nous protéger d’une prise de conscience brutale de la futilité de notre humanité face à un univers bien trop grand et a jamais hors de portée de notre entendement. Nos existences, négligeables à l’échelle cosmique, ne pouvaient revêtir une importance qu’a travers la conjonction d'un’orgueil démesuré et du manque salvateur de mise en perspective de notre espèce quelconque, destinée à l’oubli.


Si à l’époque j’en avais l’intuition diffuse, flottant à la limite de ma conscience, voire même si je pouvais concevoir cette angoisse cosmologique, je n’étais encore jamais tombé sur quelqu’un capable de l’exprimer aussi clairement. Je me rappelle encore avec un mélange de plaisir et d’effroi ces nuits de lecture fébrile ou je dévorais l’intégralité des œuvres de Howard Phillip Lovecraft.


Lovecraft ayant influencé comme très peu d’auteurs en ont été capables le fantastique et la science fiction contemporaine, il est normal que pas mal de livres biographiques et de documentaires lui aient été consacrés.


Toute cette digression nous amène à l’œuvre qui nous occupe.
Lovecraft : Fear of the Unknown revisite a travers des interview d’auteurs et de spécialistes du mythe crée par le maitre de Providence, le travail, et la vie de Lovecraft.


On y explique les relations étroite entre, sa vie et son œuvre, sans passer sous silence les préjugés que Lovecraft avait à l’encontre des étrangers (mais étrangement on fait silence sur le problème évident qu’il a à l’encontre des crustacés… Alors, complot ?),et sa xénophobie galopante (du moins dans ses premiers écrits), mais toujours remis en contexte. Le documentaire a cette intelligence de ne pas tomber dans le procès à charge ni dans le panégyrique. Les réalisateurs ont clairement voulu s’éloigner de l’exercice de mauvaise foi pour donner une image la plus fidèle possible de l’auteur.


Le documentaire est émaillé des interventions de différents écrivains, réalisateurs, ou spécialistes et critiques œuvrant dans le genre de l’horreur et du fantastique, entrecoupé d’images d’archive, de films et d’excellentes illustrations et peintures en rapport avec le mythe littéraire qu’il a crée ou la vie de Lovecraft elle même.


Parmi les écrivains, vous y retrouvez l’incontournable (lorsqu’il s’agit d’horreur Lovecraftienne) Ramsey Campbell, Peter Straub (Ghost Story, Le taslisman, Koko,…), et le toujours très bon Neil Gaiman (Neverwhere, American Gods, Nobody Owens,…) qui malgré l’admiration qu’il porte à l’écrivain s’amuse notamment dans certaines de ses nouvelles à moquer un peu le style baroque de Lovecraft (je ne ne résiste pas d’ailleurs à vous mettre un extrait de La spéciale de Shoggoth à l’ancienne ou deux profonds buvant un coup dans un bar de Dunwich discutent des écrits de Lovecraft : « la lune gibbeuse était suspendue dans la nuit fuligineuse au dessus des habitants batraciens de Dulwich la squameuse." ça veut dire quoi, hein ? Non mais ça veut dire quoi ? J'vais vous le dire, moi, ce que ça veut dire, bon sang de bois. Ce que ça veut dire, putain, c'est que la lune était presque pleine, qu'y faisait nuit noire, et que tous les gens qui vivaient à Dulwich, c'étaient de sacrément drôles de grenouilles. Voilà ce qu'y veut dire ! ») .On entend également du coté des réalisateurs des interventions de Guillermo Del Toro (l’échine du diable, Hellboy, Pacific Rim), et des deux metteurs en scène ayant le plus puisé avec brio à la source du maitre à ma connaissance, j’ai nommé Stuart Gordon (Reanimator, From Beyond, Dagon), et bien sûr John Carpenter (The Thing, In th Mouth of Madness, Prince of Darkness). Le célèbre critique S.T Joshi connu pour avoir écrit ce qui est considéré comme la biographie ultime de Lovecraft en anglais (I am Providence : The life and times of H.P Lovecraft) intervient également régulièrement, mais bien d’autres personnes réagissent et donnent leur point de vue sur l’écrivain et sur l’homme.


Le documentaire dans son ensemble se regarde avec intérêt, et se révèle être une très bonne introduction à ceux qui voudraient mieux connaitre Lovecraft.


Trois petits reproches tout de même :
1) Aucune emphase sur les écrits de Lovecraft concernant le cycle du rêve, faisant partie à mon sens de ce que Lovecraft a fait de mieux
2) On insiste assez peu sur l’énorme influence de l’écrivain sur les œuvres de science-fiction et d’horreur des années suivant sa mort. On fait allusion à Alien, par exemple, et les écrivains et réalisateurs présent servent évidemment à démontrer cette influence, mais je trouve que c’était un peu léger et quelques liens démontrant son influence considérable n'eurent pas été de trop.
3) Les réalisateurs du documentaire semblent essayer de faire passer un sentiment d’horreur à travers leur travail, ce qui est parfois un peu raté et pas forcément nécessaire (après tout, si je regarde un documentaire sur Coluche, je ne m'attend pas à ce que le documentaire en question passe son temps à essayer de faire des vannes).


En dehors de ces considérations, Lovecraft : Fear of the Unknown est un bon documentaire pour qui aimerait découvrir un peu plus l’homme qui se cache derrière les récits du maitre de Providence.

Samu-L
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Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Les Films à la sauce Lovecraft et Films vus ou revus en 2015

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le 10 sept. 2015

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Samu-L

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