LOVING (Jeff Nichols, USA, 2016, 123min) :


Cette chronique délicate nous entraîne en Virginie (ancien état esclavagiste des États-Unis) en 1958, où Mildred Jeter, femme noire et Richard Petty Loving, homme blanc ouvrier en bâtiment, vivent heureux et décident de se marier dans le district de Columbia voisin. Le très talentueux réalisateur Jeff Nichols revient un an à peine l’envoûtant Midnight Special pour ausculter à nouveau les tourments intérieurs et les démons de l’Amérique. Mais pour la première fois le sujet de son film s’inspire d’une histoire vraie. A la suite du visionnage émouvant du documentaire The Loving story (2011) de Nancy Buirski, il tient son sujet : Loving.


La première séquence magnifique de simplicité offre la vision des pieds de Richard, préfigurant d'emblée un homme pragmatique, les pieds sur terre, puis sur l’annonce de sa compagne « je suis enceinte ». Cette mise en scène par un habile champ contre champ nous fait découvrir les deux visages et le cadre du plan large suivant montre ce couple côte à côte, heureux et uni au centre de l’image. Un futur joyeux s’annonce et se construit. Cette scène inaugurale préfigure admirablement la mise en image du récit développé cinématographiquement par Jeff Nichols.


Celui-ci prend le parti audacieux d’une mise en scène épurée, où la sobriété et le peu de mots viennent envelopper de douceur cette histoire bouleversante. Un bonheur qui passe pour cet ouvrier taiseux par un mariage. Union interdite à l’époque par une loi ségrégationniste de l’état de Virginie refusant le droit aux hommes blancs de s’unir avec des « gens de couleur ». Richard aimant sa femme décide quand même d’épouser Mildred. Les ennuis commencent. La police débarque et les arrête en pleine nuit. La justice condamne cette union. Loin de se servir de ce fait divers pour imposer quelconque dogmatisme, le cinéaste avec élégance va monter l’absurdité de cette décision et du comportement du monde extérieure ou les relents racistes et esclavagistes surgissent dans les regards où coins de rues. La mise en scène souvent avec des plans fixes unissent ou réunissent le couple, souligne brillamment les détails de la vie amoureuse du couple et le long combat judiciaire pour simplement vivre amoureux et en paix.
La construction de la tension se fait ressentir par le peu de mot, les colères sourdes, les disputes enfouies, l’impuissance et la culpabilité de Richard, un cauchemar au cœur d’une nuit paisible ou dans une course poursuite de voiture où la peur domine la raison. Jeff Nichols nourrit son film de toutes ces scènes avec une pudeur bienveillante et opère des ellipses pour casser les codes du genre de film à dossier. Alors que la communauté noire se réveille, au détour d’un écran de télévision on découvre la fameuse « marche noire » qui avance avec Martin Luther King en chef de file, alors que le combat de ce couple semble à l’arrêt. La mise en scène prend des pauses et se resserre sur l’histoire de couple délaissant un peu la grande Histoire qui s’écrit en dehors d’eux. Tout est question de regards. Le cinéaste choisit lui d’atténuer les situations les plus dramatiques (arrestation, la prison, accident, incident d’une brique) pour mieux en souligner la force. Le pathos n’est pas de mise et la mièvrerie n’est pas invitée. De manière subtile comme ce plan d’un arbre déraciné alors que le couple est obligé avec leurs enfants de déménager et d’habiter loin de leur lieu de résidence montre toute la pertinence de l’auteur. De cette retenue d’effets le réalisateur veut faire naître l’émotion, notamment lors de la décision finale de la Cour Suprême des États-Unis sans autre forme de procès il filme en deux plans et une phrase prononcée par Mildred : « Je crois qu’on a gagné » la sentence adressée par téléphone à l’épouse.
Avec une finesse d’écriture la caméra de Jeff Nichols expose ce couple cimenté, dont la passion amoureuse et le feu tellurique se resserre dans plusieurs plans sans jamais vaciller par le monde extérieur hors de leur foyer. Leur couple ne cessant de garder la flamme qui se nomme : espoir. Leur amour est légitime, il leur permet de tout affronter. Richard en homme qui construit et répare n’a de cesse de « vouloir prendre soin de sa femme » et son épouse digne ne veut pas lâcher, un duo sur le fil de l’émotion dont Nichols dresse un portrait sensible. La délicatesse et l’intelligence de la narration rejoint les cinéastes classiques Frank Capra, John Ford ou plus contemporain comme Clint Eastwood notamment dans Sur la route de Madison (1995) pour l’intimité. La photographie sublime les décors et les multiples échanges de regards (qu’ils soient entre les amants, extérieurs du monde hors-jeu ou d’un photographe qui met en lumière pour le magazine Life l’alchimie du couple). La pellicule offre un écrin virtuose à la sobriété du dispositif scénique. Et les derniers plans nous ramènent avec finesse au début, dans le cadre symbolique du cinéma, le mari entreprend la construction d’une maison en délimitant une parcelle de terrain qui protégera les siens dans un futur où l’extérieur ne pourra plus venir ébranler l’amour de cette famille. La musique aérienne et inspirée de David Wingo (habituel collaborateur musical du cinéaste) donne ce pouls vibrant sous les peaux et souligne chaque scène avec grâce par des mélodies qui donnent la chair de poule. L’humilité du projet repose sur l’interprétation splendide de la révélation sur grand écran de Ruth Negga, au regard et aux demi-sourires très touchants bien épaulé par un émouvant Joel Edgerton tout en retenue. Magnifique couple de cinéma.
Un récit humaniste et politique dont l’intimité se révèle totalement universel où chaque scène repose sur un principe d’évocation très intense sans qu’elle ne soit démonstrative, un travail d’orfèvre. Venez faire connaissance avec cette histoire d’amour intense dont le nom propre des époux n’a jamais été si bien porté qu’à travers ce Loving. Superbe, intime, limpide et déchirant. Un classique instantanné.

seb2046
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Les meilleurs films de 2017

Créée

le 10 févr. 2017

Critique lue 499 fois

3 j'aime

3 commentaires

seb2046

Écrit par

Critique lue 499 fois

3
3

D'autres avis sur Loving

Loving
Velvetman
7

Loving v. Virginia

Dans une période où les films sur la ségrégation et la discrimination entre noirs et blancs pleuvent dans le cinéma hollywoodien actuel, Jeff Nichols tente à son tour de s’aventurer dans le combat...

le 2 févr. 2017

58 j'aime

4

Loving
Docteur_Jivago
8

Hit the road Rich

Après avoir brillamment fait ses premiers pas dans la science-fiction avec Midnight Special, le jeune et talentueux Jeff Nichols adapte ici une histoire vraie relatant un couple inter-racial dans une...

le 19 févr. 2017

31 j'aime

8

Loving
EricDebarnot
7

Scènes de la vie conjugale

"Loving" est ce que les journalistes snobs et pas très anglophones appellent un film "déceptif", c'est-à-dire trompeur, et pas décevant... même si les fans hardcore de l'aimable Jeff Nichols...

le 18 févr. 2017

20 j'aime

Du même critique

Plaire, aimer et courir vite
seb2046
8

Jacques et le garçon formidable...

PLAIRE, AIMER ET COURIR VITE (2018) de Christophe Honoré Cette superbe romance en plein été 93, conte la rencontre entre Arthur, jeune étudiant breton de 22 ans et Jacques, un écrivain parisien qui a...

le 11 mai 2018

36 j'aime

7

Moi, Tonya
seb2046
7

Wounds and cry...

MOI, TONYA (15,3) (Craig Gillespie, USA, 2018, 121min) : Étonnant Biopic narrant le destin tragique de Tonya Harding, patineuse artistique, célèbre pour être la première à avoir fait un triple axel...

le 19 févr. 2018

32 j'aime

2

La Villa
seb2046
7

La nostalgie camarade...

LA VILLA (14,8) (Robert Guédiguian, FRA, 2017, 107min) : Cette délicate chronique chorale aux résonances sociales et politiques narre le destin de 2 frères et une sœur, réunis dans la villa familiale...

le 30 nov. 2017

30 j'aime

4